Rob Roy by Walter Scott - Scottish Literature
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LE LAI DU DERNIER MENESTREL (1805)

 Sir Walter Scott

|   Version Anglaise |


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LE LAI DU DERNIER MÉNESTREL.


Le poème offert au public est destiné à peindre les coutumes et les mœurs qui régnaient autrefois sur les frontières d’Angleterre et d’Ecosse. Les habitans menant une vie tour à tour pastorale et guerrière, et joignant des habitudes de déprédation continuelle à un esprit grossier de chevalerie, se montraient souvent sous un point de vue susceptible des ornemens de la poésie. La description des lieux et des mœurs étant l’objet de l’auteur plutôt qu’une narration suivie et régulière, il a adopté le plan de l’ancien roman en vers, qui donne à cet égard plus de latitude que n’en accorderait la dignité d’un poème régulier. Ce même modèle donne d’autres facilités, en permettant de temps en temps une variété de poésie qui va jusqu’à autoriser le changement de rhythme dans le texte. Enfin le merveilleux, adopté d’après la croyance populaire, et qui aurait semblé puéril dans un poème, n’a rien d’inconvenant dans l’ancienne ballade ou roman poétique.

Voilà pourquoi l’auteur met son récit dans la bouche d’un vieux ménestrel, le dernier de cette race, qui, étant supposé avoir survécu à la révolution, peut avoir profité des changemens heureux que le temps a introduits dans la poésie moderne, sans avoir perdu la simplicité de son modèle primitif. La scène se passe vers le milieu du seizième siècle, époque où vivaient réellement la plupart des personnages introduits dans cet ouvrage, et l’action dure trois nuits et trois jours.

INTRODUCTION.

Le chemin était long, le vent était froid, le ménestrel était vieux et infirme. Son visage flétri et ses cheveux blancs semblaient avoir connu des jours plus heureux. Sa harpe, seul plaisir qui lui restât, était portée par un enfant orphelin. Il était le dernier de tous les bardes qui avaient chanté les chevaliers des frontières 1 ; car, hélas ! leur temps était passé : ses frères, fils de l’harmonie, n’existaient plus, et lui-même, dédaigné, opprimé, il désirait partager leur repos dans la tombe. On. ne le voyait plus guider un noble coursier, et chanter gaiement comme l’alouette au point du jour ; il n’était plus fêté ni recherché par les châtelains et les châtelaines ; on ne le faisait plus asseoir à la place d’honneur pour entendre le lai qu’il improvisait sur sa harpe : les vieux temps et les vieilles mœurs n’étaient plus. Un étranger occupait le trône des Stuarts ; l’art innocent du barde était un crime aux yeux des fanatiques de ce siècle de fer. Pauvre, humilié, errant, il mendiait son pain de porte en porte, et accordait pour l’oreille d’un paysan la harpe qu’un roi avait aimé jadis à entendre.

Le ménestrel passait près de l’endroit où la tour majestueuse de Newark s’élève au-dessus des bouleaux de l’Yarrow ; son regard s’y porta avec l’expression du désir ; il ne voyait pas dans les environs un autre asile plus humble. Enfin, d’un pas craintif, il franchit le seuil de cette pesante porte de fer de laquelle étaient si souvent sorties des légions de combattans, mais qui ne s’était jamais fermée pour le pauvre et le malheureux. La duchesse 1 remarqua son air fatigué, sa démarche timide, sa figure vénérable, et dit à son page qu’elle voulait que ses gens fissent bon accueil au vieillard : malgré son illustre naissance, elle avait connu l’adversité ; dans l’orgueil du pouvoir, dans la fleur de la beauté ; elle avait pleuré sur la tombe sanglante de Monmouth.

Quand l’hospitalité eut pourvu à tous ses besoins, le ménestrel satisfait sentit renaître sa verve, il se mit à parler du bon comte Francis 2 qui était allé rejoindre ses aïeux, et du comte Walter que Dieu lui fasse paix ! Jamais chevalier plus brave ne s’était montré dans les combats. Combien d’histoires il savait sur tous les anciens guerriers de Buccleuch ! Si la noble duchesse daignait écouter les accens d’un vieillard, si elle aimait les sons de la harpe, quoique ses doigts fussent raidis par l’âge, quoique sa voix eût perdu de sa force, il croyait pourtant, à parler sans détour, pouvoir encore lui faire entendre des accords qui ne seraient pas sans charmes pour son oreille.

Cette humble demande lui fut bientôt accordée, et le vieux ménestrel obtint une audience de la duchesse. Mais, quand il entra dans le salon de parade où elle était assise avec toutes les dames de sa suite, il aurait peut-être préféré avoir essuyé un refus : quand il essaya d’accorder sa harpe, sa main tremblante avait perdu cette aisance que donne la certitude de plaire ; et des scènes de joie et de douleur passées depuis long-temps se présentèrent confusément à sa mémoire vieillie en vain il s’efforçait de mettre son instrument d’accord. La duchesse en eut compassion elle loua l’harmonie de ses sons ; elle l’encouragea et attendit avec bienveillance que ses cordes fus sent toutes montées sur le même ton. — Il allait tenter dit-il alors, de se rappeler d’anciens chants qu’il ne se croyait plus destiné à répéter. Ils n’avaient pas été composés pour d’humbles villageois, mais pour de nobles dames, et pour de puissans seigneurs. Il les avait chantés devant le bon roi Charles, quand ce monarque tenait sa cour à Holyrood ; il ne pouvait s’empêcher d’éprouver quelque crainte en essayant un air chéri, mais oublié depuis long-temps. Ses doigts errans sur les cordes en tirèrent un prélude peu assuré ; il secoua plusieurs fois sa tête blanchie par l’âge ; mais, quand il eut enfin saisi la mesure, le vieillard leva son front vénérable, il sourit, et ses yeux presque éteints brillèrent encore du feu poétique. Variant ses tons en parcourant ses cordes, il passait successivement de l’énergique au tendre : le pré-sent, l’avenir, ses peines, ses privations, les glaces de l’âge, la méfiance de lui-même, tout fut oublié dans son enthousiasme. Si sa mémoire infidèle laissait quelque lacune dans ses chants, l’inspiration y suppléait ; ce fut en s’accompagnant de sa harpe que le DERNIER MÉNESTREL chanta ce qui suit.

_____

CHANT PREMIER.

I.

Le banquet était fini dans la tour de Branksome, et la dame du château s’était retirée dans son appartement secret, appartement gardé par des charmes et des paroles magiques, terribles à entendre et terribles à répéter. Jésus et Marie, protégez-nous ! Nul être vivant, excepté elle, n’aurait osé franchir le seuil de la perte.

II.

Les tables étaient enlevées, tout était paisible et oisif ; le chevalier, le page et l’écuyer promenaient dans la grande salle, ou restaient groupés autour du vaste foyer ; les chiens, fatigués de la chasse, sommeillaient étendus sur le plancher couvert de roseaux, et dans leurs songes poursuivaient encore la bête fauve depuis Teviot-Stone jusqu’à Eskdale-Moor.

III.

Vingt-neuf chevaliers de renom suspendaient leurs écus dans la grande salle de Branksome. Vingt-neuf fidèles écuyers veillaient à leurs coursiers ; vingt-neuf hommes d’armes d’une taille élevée les servaient avec soumission. Tous ces chevaliers, d’un courage à l’épreuve, étaient les pareils du vaillant Buccleuch..

IV.

Dix d’entre eux étaient couverts d’acier, leurs épées pendaient à un baudrier, et leurs talons étaient armés d’éperons. Ni jour ni nuit ils ne quittaient leur brillante armure ; ils se reposaient avec leurs cuirasses, n’avaient d’autre oreiller qu’un dur et froid bouclier, découpaient à table, la main couverte du gantelet, et buvaient à travers la visière de leur casque.

V.

Dix écuyers et dix hommes d’armes, revêtus de cottes de mailles, étaient attentifs au moindre signe des dix guerriers ; trente coursiers aussi agiles que vigoureux restaient sellés nuit et jour dans l’écurie, leur tête était défendue par un fronteau d’acier, et à l’arçon de la. selle était suspendue une hache de Jedwood ; cent autres coursiers étaient nourris dans l’étable. Tel était l’usage du château de Branksome.

VI.

Pourquoi ces coursiers sont-ils toujours prêts à partir ? Pourquoi ces guerriers font-ils sentinelle et gardent-ils leur armure pendant la nuit ? Ils veillent pour écouter les aboiemens du limier fidèle et le cor des combats, ils veillent pour voir déployer la croix rouge de Saint-George et briller les feux des signaux. Ils veillent pour n’être surpris ni par la ruse ni par la force, de peur que les Anglais Scroop, Howard ou Perey ne viennent de Warkworth, de Naworth ou de Carlisle, menacer les tours majestueuses de Branksome

VII.

Tel est l’usage du château de Branksome. Maint chevalier y habite ; mais où est celui qui fut leur chef ? Son épée se rouille contre la muraille, à côté de sa lance rompue. La mort du puissant lord Walter sera long-temps un sujet de chants pour les bardes. Quand les citoyens d’Edimbourg effrayés s’enfuirent au loin pour éviter les fureurs de la guerre des frontières. ; quand les rues de la ville virent briller les lances, et les glaives se rougir dans le sang ; quand on entendit pousser le cri terrible du slogan 1, ce fut alors que le Chef de Branksome reçut le trépas :

VIII.

La piété peut-elle calmer la discorde ? Peut-elle éteindre les feux d’une guerre à mort ? Que peuvent les prières du chrétien, l’amour de la patrie et la divine charité ? En vain des guerriers se rendent en pèlerinage dans tous les lieux saints ; en vain ils implorent la clémence du ciel pour les Chefs qu’ils ont eux-mêmes massacrés ; tant que Cessford sera soumis aux descendans de Car, tant qu’Ettrick se fera gloire d’obéir à ceux de Scott, jamais, jamais on n’oubliera les Chefs qui ont péri, le carnage et les désastres de la guerre féodale.

IX.

Les belliqueux forestiers s’étaient inclinés douloureusement sur le cercueil de lord Walter ; les jeunes filles et les matrones du vieux Teviot y avaient répandu des larmes et jeté des fleurs ; mais l’épouse du guerrier ne répandit pas de larmes sur sa bière sanglante, elle ne la décora pas de fleurs. Le désir de la vengeance avait tari dans son âme la source d’une affliction plus douce. Un indomptable orgueil arrêtait la larme prête à couler. Mais quand, au milieu de son clan livré à la douleur, elle entendit son fils bégayer sur les genoux de sa nourrice, — Si j’atteins l’âge d’homme, la mort de mon père sera vengée, — alors les pleurs de la mère coulèrent, et baignèrent les joues enflammées de l’enfant.

X.

Négligeant le soin de sa parure, et laissant flotter en désordre ses beaux cheveux d’or, Marguerite, penchée sur la tombe de sou père, pleurait avec désespoir. Mais la tendresse filiale ne faisait pas seule couler ses larmes amères ; la crainte et les inquiétudes d’un amour sans espérance l’accablaient en même temps. Elle n’osait chercher la compassion dans les yeux courroucés de sa mère, son amant avait pris les armes avec Car contre le clan de lord Walter, lorsque l’onde de Mathouse-Born parvint jusqu’à Melrose teinte de leur sang ; elle savait que sa mère aimerait mieux la voir sur son lit de mort que de lui donner pour époux lord Cranstoun.

XI.

La châtelaine était de noble race, et fille d’un magicien de renom, de la famille de Béthune en Picardie : son père avait appris l’art que personne n’ose nommer, à Padoue, par-delà les mers. On disait qu’il avait changé son corps mortel par la vertu d’un secret magique ; et, quand il traversait en méditant le cloître de Saint-André, son ombre ne se dessinait, point sur la muraille qu’éclairaient les rayons du soleil.

XII.

Les bardes racontent qu’il initia sa fille dans son art ; elle sut comme lui forcer les esprits invisibles de l’air à paraître devant elle.

Assise dans son appartement secret de la tour occidentale du vieux lord David, la dame de Branksome écoute un son lugubre qui murmure autour des tourelles couvertes de mousse. Sont-ce les vagues du Teviot qui se brisent contre la rive escarpée ? Est-ce le vent qui agite les branches des chênes ? Est-ce l’écho des rochers ? Quel peut être ce son lugubre qui murmure autour des tourelles antiques de Branksome ?

XIII.

A ce son triste et solennel, les limiers répondent par des hurlemens, et le hibou épouvanté pousse des cris funèbres du haut des tours qu’il habite. Dans la grande salle, le chevalier comme l’écuyer jurent qu’un orage va éclater. Ils approchent d’une fenêtre pour regarder le ciel ; la nuit est belle et sans nuage.

XIV.

Mais la dame savait fort bien que ce son formidable n’était ni le gémissement du Teviot luttant contre le flanc de la montagne, ni le sifflement du vent entre les chênes, ni l’écho des rochers, ni le bruit précurseur d’une tempête : c’était l’Esprit des Eaux qui parlait, et qui appelait l’Esprit de la Montagne.

XV.

L’ESPRIT DES EAUX.

— Dors-tu, frère ?

L’ESPRIT DE LA MONTAGNE.

— Non, frère. Les rayons de la lune se jouent sur mes montagnes depuis Craig-Cross jusqu’à Skelf-Hill-Pen. Près de chaque ruisseau, dans chaque vallée, de joyeux esprits exécutent des danses légères au son d’une harmonie aérienne ; ils forment des cercles d’émeraudes sur la bruyère : vois leurs pieds agiles, écoute leur douce musique.

XVI.

L’ESPRIT DES EAUX.

— Les pleurs d’une jeune fille captive altèrent mes eaux ; Marguerite de Branksome, accablée de douleur, gémit à la pâle lueur de la lune. Dis-moi, toi qui t’approches des astres, quand cesseront ces discordes féodales ? Quel sera le destin de la jeune vierge ? qui sera l’époux de Marguerite ?

XVII.

L’ESPRIT DE LA MONTAGNE.

— Le char d’Arthur poursuit lentement sa course dans une obscurité profonde autour du pôle ; l’Ourse du nord est sombre et menaçante ; la ceinture brillante d’Orion disparaît dans les ténèbres, les planètes ne jettent qu’un éclat faible et éloigné qui perce par moment la nuit pro-fonde : j’ai quelque peine à interpréter leurs décrets ; mais les astres ne daigneront verser une influence favorable sur les eaux du Teviot et sur la tour de Branksome, que quand l’orgueil sera dompté et l’amour libre.

XVIII.

Les voix surnaturelles se turent, et le son redoutable mourut sur le sein calme des eaux et sur le penchant de la montagne ; mais il murmurait encore auprès de la tour de lord David et aux oreilles de la dame. Elle leva sa tête majestueuse, et son cœur palpitait d’orgueil. — Montagnes, s’écria-t-elle, vous courberez vos têtes ; et vous, ondes du Teviot, vous gravirez leur sommet, avant que Marguerite devienne l’épouse de notre ennemi.

XIX.

Elle retourna dans la grande salle où étaient ses vaillans chevaliers ; son fils, au milieu d’eux, se livrait avec une joie bruyante à des jeux enfantins. Se croyant déjà un maraudeur, l’enfant, à cheval sur le tronçon d’une lance, courait gaiement autour de la salle, comme s’il eût fait une invasion sur le territoire anglais. Les chevaliers,. même ceux qui avaient vieilli sous les armes, prenaient part à sa gaieté innocente, quoique leurs cœurs, naturellement farouches, fussent aussi durs que l’acier qui les couvrait : mais les guerriers à cheveux blancs prédisaient que le brave enfant dompterait un jour l’orgueil de la licorne ; et ferait triompher le croissant et l’étoile 1.

XX.

La mère oublia un moment son dessein ; un instant, pas davantage. Elle s’arrêta sous la porte cintrée, jeta un coup d’œil maternel sur son fils, et, du milieu de cette troupe de guerriers, appela William Deloraine.

XXI.

C’était un maraudeur aussi déterminé qu’on en vit jamais sur les frontières. Les yeux bandés il aurait trouvé son chemin à travers les sables de Solway et les marais de Tarras. Par son adresse, par son agilité, il avait cent fois donné le change aux limiers les plus acharnés de Perey. Il n’existait pas un seul gué dans l’Eske ou le Liddel, qu’il ne connût et qu’il n’eût passé. La saison, la force des courans n’étaient rien pour lui : les neiges de décembre ou la verdure de juillet, une nuit sans lune ou l’aube du matin, tout lui était indifférent. Jamais pillard chargé des dépouilles du Cumberland n’eut l’ame plus ferme, le bras plus vigoureux. Cinq fois il avait été proscrit par le roi d’Angleterre et par la reine d’Ecosse.

XXII.

— Sir William Deloraine, prouve que tu sais me servir au besoin ; monte sur ton meilleur coursier, n’épargne pas l’éperon, et ne t’arrête que lorsque tu seras arrivé sur les bords de la Tweed ; cherche le moine de Sainte-Marie dans le saint édifice de Melrose ; salue ce père de ma part, et dis-lui que l’heure fixée par le destin est arrivée. Il veillera cette nuit avec toi pour obtenir les trésors de la tombe : car c’est la nuit de Saint-Michel ; quoique les étoiles soient obscurcies, la lune brille. de tout son éclat ; et la croix d’un rouge de sang te montrera le sépulcre du puissant magicien.

XXIII.

— Aie soin de ce qu’il te donnera. Ne t’arrête point ; ne prends ni sommeil ni nourriture. Mais, que ce soit une lettre ou un livre qui te soit remis, garde-toi bien de l’ouvrir. Si tu l’ouvres, tu es perdu ; il vaudrait mieux pour toi que tu ne fusses pas né.

XXIV.

— Ah ! mon coursier gris-pommelé, qui boit l’onde du Teviot, répondit le guerrier, a le pas agile ; et je serai de retour ici avant le point du jour. Vous ne pouviez, noble dame, confier votre message à un chevalier plus propre à s’en acquitter ; car je ne pourrais lire une ligne, ni déchiffrer une lettre, serait-ce la première ligne ou la première lettre du verset qu’on présente à Hairibie 1.

XXV.

Deloraine fut bientôt en selle. Il descendit la colline escarpée, traversa la barbacane du château, et gagna les rives du Teviot. Il suivit la route de l’est sous une voûte de verdure formée par les rameaùx entrelacés des coudriers ; il passa le donjon de Goldiland, traversa le vieux Borthwick, entrevit la montagne de Moat-Hill, que les ombres des druides fréquentaient encore ; aperçut dans Hâwick des lumières qui disparurent bientôt derrière lui, et, pressant les flancs de son coursier, il arriva sous la tour d’Hazeldean..

XXVI.

Les sentinelles entendirent le bruit des pas du cheval : — Halte-là, courrier des ténèbres ! — Je viens de Branksome, répondit le chevalier ; et, laissant la tour amie derrière lui, il quitta les bords du Teviot. Le murmure de l’eau guidant ses pas, il gravit une hauteur vers le nord, et gagna la prairie d’Horselie-Hill, laissant à sa gauche l’ancienne voie romaine.

XXVII.

Il s’arrêta un instant pour laisser reprendre haleine à

(1) Lieu où l’on exécutait les maraudeurs à Carlisle. On présentait jadis le sixième psaume Miserere mei aux criminels, pour voir s’ils savaient lire, et s’ils pourraient réclamer le privilège du clergé. Le premier verset du psaume s’appelait le verset du cou (le verset du pendu), necke-verse son coursier essoufflé. Il desserra la sangle, et essaya s’il pourrait tirer facilement son glaive du fourreau. Lesrayons de la lune éclairaient les rochers de Minto,où Barnhill avait établi sa couche de pierre ; c’est là qu’il disputait aux faucons un abri pour reposer ses membres proscrits ; de la cime de ces monts son œil d’aigle pouvait au loin apercevoir sa proie ; les échos ajoutaient encore à la terreur qu’inspirait le cor du brigand ; ces mêmes échos retentiront long-temps après les sons du chalumeau dorien, et quelque amant mélancolique apprendra aux bocages que l’ambition n’est pas un remède contre l’amour.

XXVIII.

Quittant ces lieux sans avoir rencontré aucun ennemi, Deloraine s’avança dans les beaux domaines de l’ancien Riddel, où l’Aill, ayant rompu les barrières que lui opposaient les montagnes, voit sortir des lacs ses vagues couronnées d’écume et semblables à la crinière hérissée d’un cheval bai. Mais nul torrent, quelque large, quelque profond qu’il soit, ne peut arrêter l’audacieux maraudeur.

XXIX.

Il s’élance dans les ondes impétueuses ; elles couvrent la selle, et à peine à travers leur écume aperçoit-on la crinière du coursier qui était, comme son maître, complètement bardé de fer. Jamais homme et cheval plus pesamment armés n’avaient lutté au milieu de la nuit contre la force d’un torrent. Les vagues mouillèrent jus-qu’au panache du guerrier, et cependant, graces à son courage et à la protection de la Vierge, il gagna enfin l’autre rive.

XXX.

Le chevalier arriva ensuite à Bowden-Moor, et secoua la tête en apercevant Halidon-Bill, car il se rappela le carnage de cette malheureuse. journée où, pour la première fois, les Scotts et les Cars combattirent dans des rangs opposés ; où le roi Jacques vit le vainqueur rester maître du champ de bataille ; et oit Home et Douglas, conduisant l’avant-garde, culbutèrent le clan de Buccleuch qui battait en retraite, jusqu’à ce que le sang du brave Cessford eût teint la lance d’Elliot.

XXXI.

Fronçant le sourcil, il se hâta de s’éloigner des lieux qui lui offraient de si tristes souvenirs, et vit bientôt, malgré l’obscurité, la Tweed rouler ses belles eaux, et Melrose montrer ses antiques murailles. II vit s’élever la sombre abbaye, telle qu’un éminent rocher tapissé de lichen. En passant par Hawick, il avait entendu sonner le couvre-feu, maintenant on chantait les laudes dans Melrose. Les sons mourans de cette harmonie solennelle arrivaient jusqu’à lui, semblables à ceux de cette harpe magique qui ne sont produits que par le souffle des vents. Mais quand il entra dans Melrose, un profond silence y régnait. Il mit son coursier à l’écurie, et se rendit dans l’enceinte solitaire du couvent.

Ici la harpe cessa de se faire entendre, le feu du ménestrel s’éteignit aussitôt, son courage l’abandonna. Il baissa la tête d’un air confus, et, jetant un regard timide sur les dames qui l’entouraient, il semblait chercher à lire dans leurs yeux si elles étaient contentes de ses accords. N’osant croire aux louanges qu’il recevait, il parla du temps passé, et dit que la vieillesse et sa vie errante avaient rendu sa harpe moins juste et sa main moins sûre.

La duchesse, ses aimables filles, et toutes les dames qui avaient écouté le ménestrel, donnèrent chacune à son tour des éloges. à ses chants. — Sa voix était sonore, sa main fidèle à la mesure, et elles désiraient l’entendre encore. Encouragé de cette manière, le vieillard, après quelques instans de repos, continua en ces termes.

CHANT SECOND.

I.

Veux-tu bien voir le beau Melrose ? va le visiter à la lueur pâle de la lune : les rayons du jour semblent ne dorer ses débris antiques que par moquerie. Quand la nuit règne sur les arches brisées, et que la lune argente la sculpture de chaque croisée en ogive ; quand sa clarté incertaine et froide se répand sur les restes de la grande tour centrale ; quand chaque arcade et chaque faisceau de colonnes paraissent être alternativement d’ivoire on d’ébène ; quand un cadre d’argent entoure les figures en relief et les pieux versets qui vous exhortent à bien vivre et à bien mourir ; quand le hibou chante sur les pierres des morts ; alors va, — mais va seul, admirer le temple en ruines de Saint-David, et conviens, au retour, qu’il n’existe nulle part un spectacle à la fois plus mélancolique et plus beau.

II.

Deloraine se souciait peu d’admirer ce noble édifice. Il frappe au guichet.à grands coups avec la garde de son poignard. Le portier accourt. — Qui frappe si fort ? qui vient si tard ? — Je viens de Branksome, — répond le guerrier. A. ces mots le guichet s’ouvre, car les Chefs de Branksome avaient combattu pour soutenir les droits de Melrose ; et ils avaient donné à l’abbaye de vastes domaines pour le repos de leur ame.

III.

Le brave Deloraine déclara son message. Le portier inclina humblement la tête, et le conduisit en silence, les pieds nus et une torche à la main ; les voûtes du cloître retentirent du bruit des armes du guerrier. Il baissa sa tête altière pour entrer dans la cellule du vieux moine de l’aile Sainte-Marie, et releva la visière de son casque pour lui dire avec respect :

IV.

La dame de Branksome vous salue. L’heure fixée par le destin est arrivée ; je dois veiller avec vous cette nuit pour obtenir les trésors de la tombe. — Le moine était sur la haire qui lui servait de couche ; il souleva avec peine ses membres raidis par l’âge. Cent années avaient répandu leur neige sur sa longue barbe et sur les cheveux rares qui lui restaient.

V.

Ses yeux bleus contemplent le chevalier d’un air égaré : — Oses-tu bien, guerrier, chercher à voir ce que le ciel et l’enfer veulent cacher ? Ma poitrine est entourée d’une ceinture de fer, mon corps est couvert d’un cilice armé de pointes aigues. J’ai passé soixante ans dans la pénitence ; mes genoux ont usé les pierres de ma cellule, et c’est encore trop peu pour obtenir le pardon d’avoir connu ce qui rite devait jamais l’être. Veux-tu passer dans la prière et la pénitence le reste de tes années, et n’attendre qu’en tremblant la fin de tes jours ?.... Audacieux guerrier, suis-moi.

VI.

— Je ne veux pas de pénitence, Père. Rarement j’entre dans une église, et je sais à peine une prière, tout au plus un Ave, Maria, que je récite quand je pars pour faire une excursion sur lés frontières. Hâtons-nous donc ; que je retourne promptement,

VII.

Le vieillard regarda encore le chevalier, et poussa un profond soupir. Il avait lui-même porté les armes autre-fois, et avait combattu avec courage en Italie et en Es-pagne. Il pensait à ces jours passés depuis long-temps où ses membres étaient pleins de vigueur, son cœur bouillant de courage... Aujourd’hui il marche à pas lents vers le jardin du monastère. Les -voûtes du cloître étaient sur leurs têtes, et sous leurs pieds les ossemens des morts.

VIII.

La rosée de la nuit brille sur des fleurs et des arbustes sans nombre ; ces fleurs et ces arbustes sont habilement retracés par la sculpture du cloître. Le moine fixa long-temps ses regards sur la lune ; ses yeux semblèrent ensuite vouloir percer l’obscurité des voûtes. Des rayons de lumière, d’un rouge étincelant, traversaient l’horizon du nord. C’est ainsi qu’il avait vu dans la belle Castille de jeunes cavaliers s’élancer en brillans escadrons, tourner leurs coursiers agiles et lancer le dard inattendu ‘. Il savait que ces rayons de lumière étaient les feux du nord servant de coursiers aux esprits.

IX.

Le moine et le guerrier pénètrent dans la nef par une porte garnie d’airain. Le toit sombre s’élevait sur de hautes colonnes délicates et légères ; la maîtresse pierre qui fermait chaque arcade était sculptée en fleurs de lis ou en trèfle ; tous les frontons représentaient des figures grotesques et bizarres, et les piliers, élégans depuis la basé jusqu’au chapiteau, auraient pu être pris pour des faisceaux de lances réunies avec des guirlandes.

X.

Autour de l’autel, des écussons, des bannières déchirées, s’agitaient avec bruit au souffle glacial du vent de la nuit. C’était là que la lueur mourante d’une lampe éclairait l’urne sépulcrale du vaillant Chef qui périt à Otterburne, et celle du chevalier de Liddesdale ! O périssables honneurs de la mort ! fière ambition, quelle chute pour ton orgueil !

XI.

Dti côté de l’est, la lune versait sa clarté à travers un treillage en pierre, travaillé avec tant de délicatesse, qu’on eût dit que la main d’une fée tressant des brins d’osier entre des peupliers, en avait formé des nœuds fantastiques, pour pétrifier ensuite, par un charme magique, les vertes guirlandes du saule. Cette lumière, pale et tremblante, découvrait les prophètes et les saints dont l’image était peinte sur le verre. Au milieu d’eux, Michel triomphant brandissait l’étendard rouge de la croix, et foulait aux pieds l’ange rebelle ; un rayon de lumière traversant ces vitraux sacrés teignait de la couleur du sang le marbre du pavé.

XII.

Ils s’assirent sur une pierre sous laquelle reposait un roi d’Ecosse ; alors le moine dit d’un ton solennel : — Je n’ai pas toujours vécu dans la solitude du cloître ; j’ai vu le pays des païens, j’ai combattu pour la croix sainte. Cependant aujourd’hui la vue de tes armes est étrange à mes yeux, et le son de ton armure est nouveau pour mon oreille.

XIII.

— Dans ces pays lointains, lé hasard me fit connaître le célèbre Michel Scott, ce magicien dont le pouvoir était si redoutable, qu’en élevant sa baguette dans la caverne de Salamanque, il faisait, quand il le voulait, sonner les cloches de Notre-Dame. Il m’apprit quelques-uns des secrets de sa science ; je pourrais te dire, guerrier, les paroles qui partagèrent le sommet de l’Eildon et qui placèrent un pont sur la Tweed ; mais on ne pourrait les prononcer sans péché, et rien que pour y avoir secrètement pensé, je vais être obligé de faire triple pénitence.

XIV.

— Quand Michel fut sur son lit de mort, des remords éveillèrent sa conscience ; il songea à ses fautes, et désira me voir près de lui sans délai. J’étais le matin en Espagne, et avant la nuit je fus au chevet de son lit. Ce qu’il me dit en mourant ne peut être répété... Cette nef massive s’écroulerait et couvrirait sa tombe de ses débris.

XV.

— Je fis serment d’enterrer son livre tout-puissant, afin que nul mortel ne pût le lire, et de ne jamais révéler où je l’aurais caché, à moins que ce fût pour servir son Chef, le baron de Branksome. Quand je lui eus creusé un caveau dans ce séjour des morts, j’y déposai ses restes ; la cloche sonnait une heure ; la lune brillait de tout son éclat. Je saisis cet instant afin que la croix de son patron, réfléchissant sa couleur rouge sur sa tombe, en pût écarter les malins esprits.

XVI.

— Ce fut une nuit solennelle et terrible que celle où le tombeau s’ouvrit pour Michel. Des sons étranges se firent entendre dans cette nef, et toutes ces bannières furent agitées sans qu’on sentit un souffle d’air. — Le moine parlait encore quand la cloche sonna une heure. Je vous ai dit que jamais chevalier .plus brave que William Deloraine ne lança son coursier contre un ennemi, et cependant une terreur soudaine vint glacer son sang dans ses veines, et ses cheveux se dressèrent sur sa tête.

XVII.

— Guerrier, regarde cette croix rouge, elle t’indique la tombe du grand magicien. Dans ce caveau brûle une "lampe miraculeuse, pour en bannir les esprits qui aiment les ténèbres. Elle brûlera sans jamais s’éteindre, jusqu’au dernier jugeaient. — Le moine s’avança lentement vers la pierre sur laquelle se réfléchissait la croix couleur de sang ; étendant sa main flétrie et décharnée, il montra au chevalier un pieu de fer caché dans un coin, et lui fit signe de s’en servir pour ouvrir le caveau.

XVIII.

Deloraine se met à l’ouvrage ; son cœur bat avec force. Il incline ses membres nerveux sur le tombeau, et ses puissans efforts font couler la sueur sur son front comme des gouttes de pluie. Enfin il réussit à soulever l’énorme pierre. Une lumière éclatante jaillit tout à coup du caveau, s’élança jusqu’aux voûtes de la nef, et se répandit de tous cotés. Jamais flamme terrestre ne fut si éblouissante. Elle brillait comme la clarté pure des cieux ; elle éclaira le visage pâle du moine et son capuchon, la cotte de mailles et le panache flottant du guerrier..

XIX.

Le magicien. se présenta à leurs yeux comme s’il n’avait jamais cessé de vivre. Les flots d’argent de sa barbe blanche attestaient qu’il avait vu plus de soixante-dix hivers. Il était couvert d’une aumusse et d’un baudrier de Tolède, comme un pèlerin arrivant d’outre-mer. De la main gauche il tenait son livre de magie, de la droite une croix d’argent, et la lampe brûlait à ses pieds : il avait encore cet air fier et majestueux qui avait fait trembler les esprits les plus redoutables, et son visage était si serein qu’ils espérèrent que son ame avait trouvé grace.

XX.

Souvent William Deloraine avait parcouru le théâtre sanglant des combats, souvent il avait foulé aux pieds les cadavres des guerriers, toujours sans. crainte et sans remords ; mais les remords et la crainte s’emparèrent de lui quand il vit cette étrange apparition. Respirant à peine, les yeux obscurcis et troublés, il resta immobile et sans force. Le moine se mit à prier avec ferveur et à haute voix, en détournant la tête : il ne put soutenir la vue de celui qu’il avait chéri avec une affection fraternelle.

XXI.

Lorsqu’il eut achevé les prières des morts : — Hâte-toi, dit le moine à Deloraine, hâte-toi de terminer ce que tu as à faire, ou nous pourrions payer bien cher notre audace, car tu ne peux voir ceux qui s’assemblent autour de cette tombe entr’ouverte. — Alors le chevalier, frappé de terreur, prit de la main froide du magicien le livre tout-puissant, relié en fer et fermé par des agrafes de même métal. II crut voir le mort froncer le sourcil ; mais l’éclat de la lumière qui sortait du sépulcre avait peut-être ébloui les yeux du guerrier.

XXII.

Lorsque l’énorme pierre recouvrit la tombe, les ténèbres redoublèrent ; car la lune avait disparu, et les étoiles scintillaient en petit nombre. Le prêtre et le chevalier se retirèrent d’un pas chancelant et l’esprit égaré, ayant à peine la force de regagner la porte. On dit qu’en traversant les ailes de l’église, ils entendirent dans l’air des bruits étranges, et que des galeries qui régnaient le long des murs il partit de profonds gémissemens, de bruyans éclats de rire, ou des sons qui ne ressemblaient pas à la voix humaine, comme si les démons eussent célébré une fête, parce que le livre magique revoyait le jour. Je ne puis dire si ces détails sont vrais : je conte l’histoire comme je l’ai apprise.

XXIII.

— Maintenant, retire-toi, dit le moine ; et, lorsque nous serons sur notre lit de mort, oh ! puisse Notre-Dame et le secourable saint Jean obtenir pour nos ames le pardon de ce que nous venons de faire ! — Le l’ère retourna dans sa cellule pour s’y livrer à la prière et à la pénitence ; mais, quand la cloche du couvent sonna midi, le moine de Sainte-Marie n’existait plus. Son corps était étendu devant la croix, les mains jointes, comme s’il priait encore.

XXIV.

La fraîcheur de l’air du matin rendit plus libre la respiration du chevalier, et il s’efforça de retrouver son courage. Il se sentit soulagé quand il fut au-delà des monumens funèbres qui entourent les murs de l’abbaye ; car le livre mystérieux accablait son sein comme d’un poids énorme, et ses membres si robustes tremblaient comme les feuilles du saule agitées par le vent. Il vit avec plaisir les premiers feux de l’aurore éclairer la cime du mont Cheviot ; le retour de la lumière réjouit son cœur, et il récita un Ave, Maria, aussi bien qu’il le put.

XXV.

Le soleil dorait déjà le Cheviot et la côte du Carter ; bientôt ses célestes rayons découvrirent les flots du Teviot et les tours de Branksome. Les oiseaux saluaient le jour naissant par leurs concerts ; les fleurs sortaient de leur sommeil pour s’épanouir ; la pâle violette soulevait sa tête à travers le gazon, et la rose des montagnes entr’ouvrait son sein. Plus belle que la plus belle des roses, mais plus pâle que la violette, la plus aimable des filles. de la vallée de Teviot quitta sa couche que fuyait le sommeil.

XXVI.

Pourquoi la belle Marguerite se lève-t-elle de si grand matin ? Pourquoi se presse-t-elle ainsi de se parer ? Pourquoi ses jolis doigts tremblent-ils en serrant les nœuds de soie qu’elle forme à la hâte ? Pourquoi s’arrête-t-elle pour regarder derrière elle d’un air craintif en se glissant dans l’escalier dérobé ? Pourquoi caresse-t-elle le limier qui se réveille en l’entendant passer ? Et quoiqu’elle sorte seule par la poterne, pourquoi la sentinelle ne sonne-t-elle pas du cor ?

XXVII.

Marguerite s’avance d’un pas timide et tremblant, parce qu’elle craint que sa mère vigilante ne l’entende ; elle caresse le limier, de peur que ses aboiemens n’éveillent tout le château ; la sentinelle ne sonne pas du cor, parce que c’est le fils de son père nourricier qui veille sur le rempart ; et elle se glisse dans le taillis, au retour de l’aurore, pour y joindre son chevalier fidèle, le baron Henry.

XXVIII.

Le chevalier et celle qu’il aime sont assis sous les rameaux d’aubépine, qui n’ont jamais prêté leur ombre à un couple plus beau. Henry était jeune, de haute taille, d’un port majestueux, redouté sur Je champ de bataille, et chéri dans les châteaux ; et elle... quand un amour à demi caché et à demi avoué animait ses joues d’un vermillon plus vif ; quand un soupir prêt à s’échapper de son sein le faisait battre doucement contre le ruban de soie qui le tenait captif, quand ses yeux bleus, ombragés par les boucles de sa chevelure d’or, trahissaient son secret, où auriez-vous pu trouver la beauté sans égale digne d’être comparée à Marguerite de Branksome ?

XXIX.

Et maintenant, belles dames, il me semble que vous écoutez mes chants avec une nouvelle attention.. Vous rejetez en arrière votre chevelure flottante, et vous penchez vos fronts de neige. Vous croyez que je vais vous faire entendre l’histoire attendrissante de deux amans bien épris, s’entretenant dans une vallée ; vous désirez savoir comment le chevalier, brûlant du plus tendre feu, cherche à peindre son amour fidèle, et jure qu’il mourrait aux pieds de Marguerite, plutôt que de cesser de l’aimer….., pendant que Marguerite rougit, soupire, hésite entre un refus et un doux aveu, et dit qu’elle ne connaîtra jamais les liens de l’hymen, mais que, si la haine sanguinaire des partis pouvait s’éteindre, Henry de Cranstoun fixerait le choix de Marguerite de Branksome.

XXX.

Hélas ! belles dames, votre espérance sera trompée : ma harpe a perdu ses accords enchanteurs ; ce sujet aimable et léger conviendrait mal à ma vieillesse : ma tête a blanchi, ma main est sans force, mon cœur s’est éteint, et tout mon sang s’est glacé ; pourrais-je encore chanter l’amour ?

XXXI.

Sous un chêne que le temps avait couvert de mousse, le nain du baron gardait le coursier de son maître, sa lance et son heaume surmonté d’un panache. Ce nain était à peine une créature humaine, s’il faut ajouter foi aux différens bruits qui couraient sur toute la frontière. On disait que le baron, étant un jour à la chasse dans la vallée
peu fréquentée de Reedsdale, il entendit une voix s’écrier : — Perdu ! perdu ! perdu ! — Au même instant, ce nain difforme, et semblable à un singe, s’élançant du milieu des genêts avec la rapidité d’une balle lancée par une raquette, fit un saut de trente-trois pieds, et tomba aux genoux de lord Cranstoun. Le baron, plus que surpris, courut cinq milles tout d’une traite pour se débarrasser d’un tel compagnon. Mais le nain faisait quatre milles pendant que lord Cranstoun en faisait un, et il arriva le premier à la porte du château.

XXXII.

L’habitude, dit-on, diminue le merveilleux. Ce nain demeura avec le baron : il mangeait peu, parlait moins, et il évitait les autres serviteurs. Souvent il élevait les bras en disant : — Perdu ! perdu ! perdu ! Il était paresseux, fantasque, acariâtre ; mais il servait fidèlement lord Cranstoun, et ses services étaient agréables à son maître, qui, un jour, sans lui, aurait été tué ou fait prisonnier.

XXXIII.

Le baron faisait un pèlerinage accompagné de ce page nain. Il avait fait vœu de présenter une offrande à la chapelle de Sainte-Marie, près du lac de Notre-Dame, et il voulait l’accomplir. Mais la dame de Branksome rassembla ses meilleurs cavaliers, et leur donna pour rendez-vous Newark-Lee. On y vit accourir John de Thirlestaine, Wat de Harden, William de Deloraine, suivis de trois cent trois lances. La plaine de Douglas, la rivière d’Yarrow, virent caracoler leurs chevaux et briller leurs armures. Ils arrivèrent avant le jour au lac de Notre-Dame : mais le baron était parti, la chapelle était déserte ; ils la brûlèrent de rage, et maudirent le page de lord Cranstoun.

XXXIV.

Et maintenant, sous un vieux chêne, dans le taillis de Branksome, le coursier du baron dresse l’oreille, comme s’il entendait quelque bruit lointain. Le nain agite ses longs bras, et il fait signe aux amans de se séparer et de fuir. Ce n’était plus le moment de prononcer des vœux de constance ni de soupirer. La belle Marguerite se retire à travers les coudriers, comme le ramier timide ; Henry saute légèrement sur son coursier, pendant que le nain lui tient l’étrier, et il s’avance du côté de l’est à travers les touffes d’aubépine.

__________

Tandis qu’il chantait ainsi son récit trop long peut-être, la voix faillit au ménestrel. Un page s’en aperçut, et mit dans la main flétrie du vieillard une coupe pleine de l’excellent vin des coteaux brûlés de Velez. Le ménestrel prit le vase d’argent, le souleva, et versa une larme de reconnaissance, en priant Dieu de bénir long-temps la duchesse et tous ceux qui daignaient encourager un fils de l’harmonie. Les jeunes filles sourirent en voyant avec quelle volupté le vieillard vida lentement la coupe jusqu’à la dernière goutte. Enhardi par ce jus précieux, il les regarde lui-même en souriant. Le nectar échauffe son cœur, et fait circuler plus rapidement son sang dans ses veines. Le ménestrel prélude d’un ton plus vif et plus léger, et continue son histoire.

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CHANT TROISIÈME.

I.

Ai-je dit que mes membres étaient affaiblis par l’âge ? Ai-je dit que mon sang était glacé dans mes veines ; que le feu qui m’animait était éteint ; que mon pauvre cœur avait cessé de battre ? Ai-je dit que je ne pouvais plus chanter l’amour ? Ah ! comment ai-je pu être ingrat envers le Dieu qui inspira toujours le ménestrel et charma ses rêveries poétiques ? Comment ai-je pu prononcer le nom de l’amour sans renaître à l’enthousiasme ?

II.

Pendant la paix l’amour rend harmonieux le chalumeau du berger ; pendant la guerre, il monte sur le coursier du vainqueur ; dans les salons, il attire les yeux par sa parure ; dans les hameaux, il danse sur le gazon : l’amour règne à la cour, dans les camps et dans les bois ; il gouverne les mortels sur la terre et les saints dans le ciel, car l’amour, c’est le ciel, et le ciel, c’est l’amour.

III.

Telle était, je crois, la pensée de lord Cranstoun, tandis que, réfléchissant au tendre entretien qu’il venait d’avoir avec la belle de ses pensées, il traversait le vert taillis de Branksome. Tout à coup son page pousse un cri perçant, et à peine le baron avait-il eu le temps d’assurer son casque sur sa tête, qu’il vit un chevalier de haute taille qui descendait la montagne. Son coursier gris-pommelé était couvert de sueur ; son armure était souillée d’anciennes taches de sang ; il semblait lui-même aussi fatigué que s’il eût marché toute la nuit ; en effet c’était William Deloraine.

IV.

Mais ce chevalier oublia sa fatigue dès que les rayons du soleil firent briller à ses yeux la cigogne qui surmontait le casque du baron ; il mit la lance en arrêt. Quelques courtes menaces exprimèrent la haine des deux champions ; d’orgueilleuses provocations donnèrent bientôt le signal d’un cruel combat. Les coursiers mêmes semblaient savoir que leurs maîtres étaient ennemis mortels, et le feu sortait de leurs naseaux, quand les deux chevaliers tournèrent bride pour prendre du champ.

V.

Le baron poussa un soupir et récita une prière : la prière était pour son saint patron, le soupir pour sa dame. Son ennemi ne pria ni ne soupira, il n’appela à son aide ni saint ni dame ; mais, courbant la tête et tenant sa lance en arrêt, il pressa les flancs de son coursier ; la rencontre de ces deux fiers champions fut comme le choc de deux nuages qui recèlent la foudre.

VI.

Deloraine porta un coup terrible qui fit plier le baron sur la croupe de son cheval, et qui ébranla toutes les plumes de son panache. La lance du chevalier, cette lance si sûre et si fidèle, quoique du frêne le plus dur, se brisa en mille pièces ; mais celle de Cranstoun, plus heureuse, perça le bouclier de son adversaire, comme si c’eût été un tissu de soie, traversa sa cotte de mailles et tous ses vétemens, et ne se rompit enfin qu’en faisant une profonde blessure. Toutefois le guerrier se maintenait sur ses arçons ; mais son coursier, renversé par la violence du choc, l’entraîna dans sa chute, et le cheval et le cavalier restèrent étendus sur la poussière. Le baron continuait sa route ; dans le trouble de ses idées, à peine savait-il qu’il laissait son ennemi grièvement blessé.

VII.

Mais bientôt il se retourne, et voit son adversaire insensible comme la terre sanglante sur laquelle il est étendu ; sir Henry ordonne à son page d’étancher sa blessure, de la bander soigneusement, et de reconduire Deloraine jusqu’à la porte du château de Branksome. Son noble cœur s’émeut de compassion pour le parent de celle qu’il aime : — Accomplis mes ordres sans délai, dit-il ; je ne puis moi-même m’arrêter, obligé de me dérober au trépas par une prompte fuite.

VIII.

Lord Cranstoun partit à toute bride, et son nain obéit. Il ne trouvait pas un grand plaisir à faire le bien ; mais jamais il ne résistait aux ordres de son maître. En dépouillant le blessé de son armure, il découvrit le livre merveilleux. Surpris qu’un si fier chevalier marchât chargé de l’équipage d’un chapelain, il oublia la blessure du vaincu pour porter sur ce livre une main indiscrète.

IX.

Les agrafes de fer résistèrent long-temps à tous ses efforts ; car, dès qu’il avait réussi à en ouvrir une, elle se fermait pendant qu’il cherchait à ouvrir l’autre. Elles ne cédèrent à ses mains profanes que lorsqu’il eut frotté la couverture avec le sang figé du blessé. Alors le livre s’ouvrit, et le nain eut le temps d’y lire un secret magique : par sa vertu on pouvait prendre une belle dame pour un vaillant chevalier ; les toiles d’araignée tapissant les murailles d’un cachot pour de riches tentures ornant les murs d’un palais ; une coquille de noix pour une nacelle dorée ; une chaumière pour un château ; la jeune fille pour une vieille surannée ; le vieillard pour un jeune homme ; enfin donner à l’illusion l’apparence de la vérité.

X.

Il allait continuer de lire, quand il reçut un coup si violent qu’il en fut renversé à côté de Deloraine. Il se releva d’un air confus, balançant sa grosse tête qui n’avait aucune proportion avec son corps : — Vieillard des siècles, s’écria-t-il, tu frappes bien fort ! il ne prononça que ces mots, et n’osant plus tenter d’ouvrir le livre, qui s’était fermé de lui-même, il le cacha sous ses vêtemens. Les agrafes, quoique couvertes de sang chrétien, se réunirent plus étroitement que jamais. Si vous me demandez qui l’avait ainsi frappé, c’est ce qu’il me serait impossible de vous dire ; mais ce coup n’avait pas été porté par une main mortelle.

XI.

Le page exécuta enfin, quoiqu’à contre-cœur, les ordres de son maître ; et, ayant soulevé Deloraine privé de connaissance, il le mit sur un cheval, et le conduisit au château de Branksome, où il le fit entrer à la barbe de toutes les sentinelles, qui jurèrent qu’elles n’avaient vu arriver qu’une charrette chargée de foin. Il le mena dans la tour du roi David, jusqu’à la porte de l’appartement secret de la dame du château ; et, sans le talisman qui empêchait qu’elle ne pût s’ouvrir, il l’aurait déposé sur son lit. Toutes les fois qu’il employait la magie, c’était toujours avec malice. Il jeta le guerrier par terre, et le sang coula de nouveau de sa blessure.

XII.

Comme il repassait dans la cour, il y vit le fils de la châtelaine, qui était à jouer, et il résolut de l’emmener avec lui dans le bois ; car il faut dire, une fois pour toutes, qu’il se plaisait toujours à faire le mal, et qu’il ne faisait jamais le bien qu’à regret. L’enfant le prit pour un de ses camarades, et les sentinelles qui gardaient la porte n’y virent passer qu’un chien d’arrêt et un chien couchant.

XIII.

L’enfant et le nain traversèrent collines et vallons, et arrivèrent sur le bord d’une petite rivière qui coulait dans la forêt. Ses eaux courantes rompirent le charme, et le nain parut sous ses traits difformes. S’il avait osé se livrer à son penchant malfaisant, il aurait brisé les jambes du noble enfant, ou l’aurait étranglé de ses doigts longs et maigres : mais il craignait le pouvoir redoutable de sa mère, et le sien était limité. Il se borna donc à lancer sur lui un regard terrible ; et, traversant la rivière d’un seul saut, il disparut dans l’épaisseur du bois en poussant un grand éclat de rire, et en s’écriant :

— Perdu ! perdu ! perdu !

XIV.

Epouvanté, comme il devait l’être à son âge, de cette métamorphose, de la figure affreuse qui s’était offerte à ses yeux, et du cri sauvage qu’il venait d’entendre, le bel enfant semblait avoir pris racine dans les bois comme un jeune lis. Enfin il chercha à retrouver le chemin de Branksome, tremblant à chaque pas de voir paraître derrière un buisson le visage horrible qui l’avait effrayé. Il se mit donc en chemin, et marcha long-temps ; mais plus il s’avançait dans le bois, plus il s’égarait. Enfin il entendit les échos des montagnes répéter les aboiemens d’un chien.

XV.

Ecoutez ! écoutez ! le bruit des aboiemens s’approche de plus en plus. Un limier paraît dans le sentier ; son museau incliné semble chercher une piste, et son œil lance le feu. Dès qu’il aperçut l’enfant, il courut sur lui avec fureur. Vous auriez vu avec plaisir la contenance du brave enfant, digne fils de son noble père. Le visage rouge de colère et de crainte, il s’arrêta pour faire face au limier, et leva sa baguette. Il en frappa même si bien son ennemi, que celui-ci, n’osant avancer, fit halte à son tour, continuant à aboyer, et semblant guetter l’instant de s’élancer sur lui. Tout à coup un archer parut à travers le taillis ; et, voyant le limier en arrêt, il bandait son arc, et il allait faire partir la flèche, quand une voix forte s’écria : — Ne tire pas, Edouard, ne tire pas ! c’est un enfant.

XVI.

Celui qui venait de parler ainsi sortit du bois, arrêta le bras de son compagnon, et apaisa la fureur du chien. C’était un archer anglais du comté de Lancastre. Nul n’avait l’œil plus juste ni la main plus sûre pour abattre un daim à cinq cents pieds de distance. Des cheveux noirs, coupés très-court, entouraient son visage brûlé par le soleil ; la croix de saint George, emblème de la vieille Angleterre, était attachée à sa toque ; son cor était suspendu à son côté par un baudrier de peau de loup, et son couteau de chasse, brillant et bien affilé, avait tranché les jours de plus d’une bête fauve,

XVII.

Ses vêtemens, verts comme les feuilles de la forêt, lui descendaient à peine aux genoux et il portait à sa ceinture un carquois poli et plein de flèches acérées. Son bouclier avait à peine neuf pouces en tous sens. Il n’aurait pas regardé comme un homme celui qui aurait blessé son adversaire au-dessous du genou. Il tenait en main son arc détendu, et la courroie lui servait à mener son chien en lesse.

XVIII.

II ne voulait faire aucun mal au bel enfant, mais il le saisit d’un bras vigoureux pour qu’il ne pût ni s’enfuir ni se défendre, car en voyant la croix rouge il se débattait violemment. — Par saint George ! Edouard, s’écria l’archer, je crois que nous avons fait une bonne prise, car les traits et le courage de ce jeune captif annoncent qu’il est de haut lignage.

XIX.

— Sans doute, je suis de haut lignage,. puisque je suis le fils du brave Buccleuch ; et, si tu veux me priver de ma liberté, méchant Anglais, tu le paieras bien cher, car tu verras bientôt arriver Walter de Harden, le vaillant William Deloraine, et tous ceux qui portent le nom de Scott, depuis l’Esk jusqu’à la Tweed ; si tu ne me laisses aller, je te ferai pendre, malgré tes flèches et ton arc, et tu serviras de pâture aux corbeaux.

XX.

— Grand merci de ta bonne volonté, mon bel enfant ; mais je n’ai jamais aspiré à de si hautes destinées ; et, si tu es le Chef d’un tel clan, si tu es le fils d’un tel homme, et que tu arrives à l’âge de commander, nous pouvons nous tenir sur nos gardes, car je parie mon arc d’if contre une baguette de coudrier, que tu feras parler de toi sur les frontières. En attendant, tu voudras bien me suivre, car le brave lord Dacre sera charmé de te voir. Je crois que nous n’avons pas perdu notre temps en nous emparant du fils de ton père.

XXI.

Pendant qu’on emmenait l’enfant loin du château de Branksome, il semblait toujours y être, car le nain y jouait son rôle ; et, sous les traits du jeune Buccleuch, il mettait tout le château en désordre. Il pinçait ses compagnons, les battait, les renversait par terre ; il en tua presque quelques-uns. Il déchira la robe de soie de dame Madeleine, et tandis que Sym Hall était près de la cheminée, il mit le feu à la mèche de son mousquet, et le blessa grièvement. On aurait peine à s’imaginer tous les méchans tours qu’il jouait dans le château, où l’on commençait à croire que le jeune baron était possédé.

XXII.

Sans doute que la noble dame aurait bientôt détruit le charme ; mais elle n’était alors occupée que des soins qu’exigeait la blessure de Deloraine : elle avait été bien surprise de le trouver étendu près du seuil de sa porte ; elle pensa d’abord que quelque esprit aérien avait mal traité le maraudeur, parce qu’au mépris des ordres qu’elle lui avait donnés il avait peut-être voulu lire dans le livre magique ; mais la lance rompue était encore dans sa blessure : elle reconnut que c’était la lance d’un ennemi.

XXIII.

Elle en retira le tronçon, arrêtant par un charme le sang qui coulait encore ; puis elle fit laver et bander la plaie, et laissa Deloraine sur la couche où elle l’avait fait placer ; mais elle avait pris le fragment de l’arme fatale, elle en essuya le sang, et le frotta d’un baume précieux. Tandis qu’elle s’occupait de cette opération, William Deloraine souffrait comme si l’on eût sondé sa blessure. Cependant la duchesse annonçait à ses femmes qu’il serait guéri dans un jour et une nuit. Elle n’épargna aucune peine, car elle prenait l’intérêt le plus vif à un ami si brave et si fidèle.

XXIV.

La journée se passa ainsi. Le soir arriva, et amena l’instant où l’on allait sonner le couvre-feu. L’air était doux, toute la nature était calme, le fleuve roulait paisiblement ses ondes, une rosée embaumée tombait du ciel, et la sentinelle, placée sur le haut de la tour, se félicitait de la beauté de la nuit. La belle Marguerite jouissait plus que personne de cette heure de paix et de silence. Seule, assise sur le haut d’une tour, elle pinçait son luth, chantait quelques airs tendres et dans les intervalles pensait au bosquet d’aubépine. Ses cheveux d’or étaient dégagés de tous liens ; sa joue de rose était appuyée sur sa main, et ses yeux bleus se tournaient du côté de l’ouest, car les amans aiment l’étoile qui brille vers l’occident.

XXV.

Est-ce cet astre qu’elle voit apparaître lentement sur le sommet du Penchryst, et qui, brillant à chaque instant de nouveaux feux, semble secouer sur la nuit sa chevelure rayonnante ? Est-ce l’étoile de l’occident qui répand cette rouge lumière ? Non ; c’est le signal embrasé de la guerre... A peine si Marguerite peut respirer ; elle ne reconnaît que trop cette flamme, brillant précurseur du trépas.

XXVI.

La sentinelle l’aperçoit en même temps ; son cor retentit au loin ; ces sons guerriers sont répétés par l’écho des rochers, des bois et des rivières ; ils jettent l’alarme dans la grande salle, et en font sortir tous les guerriers, qui se précipitent dans la cour. La cour fut à l’instant éclairée par cent torches, à la lueur desquelles on voyait briller confusément les casques et les panaches ; et les lances, se heurtant en désordre, semblaient des roseaux agités par le vent sur les bords d’un ruisseau.

XXVII.

Le sénéchal, dont la flamme des torches rougissait les cheveux blancs,. se tenait au milieu de la troupe, donnant ses ordres d’un air imposant et d’un ton d’autorité. Le signal brille sur le mont Penchryst, et se répète sur les sommets du Priesthaughswire. — A cheval ! à cheval ! qu’on observe les mouvemens de l’ennemi ! A cheval pour Branksome. — Toi, Todrig, cours avertir le clan des Johnstones, qui furent toujours aussi fidèles que braves. Il est inutile d’envoyer à Liddesdale ; il suffira qu’on y voie les flammes des signaux ; les Elliots et les Armstrongs ne se feront pas attendre... Alton, pars sans délai, va prévenir le gouverneur des frontières... Gilbert, allume le feu qui doit avertir notre clan et nos amis.

XXVIII.

La belle Marguerite, du haut de la tourelle, entendit le bruit des coursiers, des harnais, des armures et des armes, lorsque les cavaliers s’élancèrent sur la selle en mêlant leurs diverses acclamations ; les uns se dirigèrent vers le nord ; les autres vers le sud, ceux-ci vers l’est, ceux-là vers l’ouest, pour reconnaître l’ennemi, surveiller sa marche, et faire armer leurs vassaux et leurs alliés.

XXIX.

Un page s’empressa de réveiller la flamme endormie des signaux ; une lueur rouge se répandit dans l’horizon, et une colonne de flammes s’éleva vers la voûte des cieux, semblable à une bannière sanglante agitée par les vents. Bientôt le même signal fut répété sur vingt montagnes ; car chaque poste était prêt, et la flamme de l’un servait d’avis pour l’autre. On les voyait s’allumer tour à tour comme ces astres qui se succèdent pendant la nuit. Ils brillèrent sur le rocher sourcilleux habité par l’aigle solitaire, et sur le monument pyramidal sous lequel reposent les cendres de vaillans Chefs. Dunedin 1 vit ces feux sur le Soltra et sur le Law 2 de Dumpender, et tout le Lothian entendit l’ordre donné par le régent de se préparer à marcher vers les frontières.

XXX.

Pendant toute la nuit le bruit des armes retentit dans les murs de Branksome, et la cloche du château frappa les airs des sons lents et solennels du tocsin. Les pierres massives et les barres de fer étaient apportées dans les tours et les donjons, pour faire pleuvoir la mort sur les ennemis ; les sentinelles répétaient sans cesse le mot d’ordre ; et les chiens, étonnés de ce bruit continuel, augmentaient le tumulte par leurs hurlemens.

XXXI.

Au milieu de tous ces embarras, la noble dame partageait les travaux de son vieux sénéchal, et parlait du danger en souriant. Elle enflammait le courage des jeunes chevaliers, et tenait conseil avec les guerriers plus âgés et plus prudens. On ne connaissait encore ni le nombre ni le projet des ennemis. Les uns disaient qu’ils étaient au nombre de dix mille ; les autres prétendaient que ce n’étaient que les dans de Leven ou de Tynedale qui venaient lever le black-mail ; Liddesdale, avec quelque peu d’aide, les repousserait aisément. Ce fut ainsi qu’on passa la nuit dans l’inquiétude, et l’on vit avec plaisir le lever de l’aurore.

Le ménestrel reprit haleine, et le cercle qui l’écoutait donna des éloges à ses chants. On regretta qu’à un âge si avancé, quand il aurait eu besoin de quelque appui, il eût à faire en ce monde un pèlerinage si pénible. N’avait-il pas d’amis, pas de fille chérie pour partager et adoucir ses travaux, pas de fils pour être le soutien de son père, et pour le guider dans les sentiers épineux de la vie ? Il en eut un, mais il n’existait plus. Il pencha la tête sur sa harpe ; sa main en parcourut tour à tour les cordes pour arrêter la larme qui voulait s’échapper de ses yeux, et la douleur paternelle se trahit par un prélude lent et solennel.

__________

CHANT QUATRIÈME.

I.

Aimable Teviot, les feux, signaux de la guerre, ne brillent plus sur tes flots argentés ; tes rives, qu’ombragent les saules, ne voient plus de, fiers guerriers couverts d’airain ; dans les prairies, dans les vallées où tu serpentes, tout est paisible et calme ; comme si tes eaux, depuis la naissance du temps, depuis le jour où elles furent pour

CHANT QUATRIÈME. 133

la première fois joindre celles de la Tweed, n’avaient entendu que le chalumeau du berger, n’avaient jamais été épouvantées des sons guerriers du clairon.

II.

Il n’en est pas ainsi de la vie humaine. C’est un fleuve dont le cours varie sans cesse, mais condamné à conserver le souvenir des malheurs et des crimes qu’il a vus près de sa source, et dont les eaux se grossissent toujours des pleurs du passé et de ceux du présent. Quoique son courant rapide m’ait déjà entraîné bien loin, il réfléchit encore pour ma mémoire l’instant où mon brave fils, mon fils unique, périt aux côtés du grand Dundee 1. Pourquoi, lorsque les balles des mousquets vinrent frapper la lame sanglante du montagnard, pourquoi n’ai-je pas succombé avec lui ? Ah ! du moins il reçut la mort des héros ; il périt avec le vaillant Grœme !... 2.

III.

La terreur parcourait au loin toutes les montagnes et toutes les vallées des frontières. Le paysan abandonnait son humble cabane pour fuir dans des marécages inaccessibles, ou se réfugier dans des cavernes. Les troupeaux effrayés n’avaient d’autre abri qu’une tente grossière ; les jeunes filles et les mères fondaient en larmes, en voyant le fer étinceler dans la main des guerriers. Du haut de la tour de Branksome la sentinelle pouvait apercevoir dans le lointain d’épais nuages de fumée obscurcir les rayons du soleil levant ; ils annonçaient les premières dévastations des Anglais.

IV.

Tout à coup la sentinelle vigilante s’écrie : — Préparez vos armes, et apprêtez-vous à voir couler le sang ! Wat Tinlinn, des bords de Liddel, vient de passer à gué la rivière. Bien des fois les maraudeurs de Tynedale ont essayé de forcer la porte de sa demeure solitaire. L’été dernier ils l’ont assiégée pendant toute une nuit ; mais ils partirent aux premiers rayons du jour, car ils savaient bien que ses flèches ne manquaient jamais leur but. Le tonnerre a dû gronder bien fort pour le faire sortir de sa tour de Liddel, et je suis tenté de croire que nos ennemis sont commandés par le gouverneur des frontières anglaises en personne.

V.

Il parlait encore quand l’audacieux archer passa sous les voûtes retentissantes du château. Il guidait un petit cheval à longue crinière qui courait comme un cerf à travers les marais et les fondrières, portant la femme et les deux enfans de Tinlinn, dont un serf à demi vêtu composait toute la suite : sa femme robuste, aux sourcils noirs, au visage rubicond, fière de ses colliers et de ses bracelets d’argent, souriait à ses amis en traversant la foule. Tinlinn était maigre et élancé, mais de la plus haute taille. Il portait un morion bossué, et une jaquette de cuir flottait négligemment sur ses épaules. Il avait une hache ; sa lance, longue de six verges d’Ecosse, semblait teinte d’un sang nouvellement répandu, et sa vaillante épouse était chargée de son arc et de ses flèches.

VI.

Il donna en ces termes des nouvelles de l’ennemi à la dame de Branksome : — William Howard marche contre nous, il est accompagné du bouillant lord Dacre ; une troupe nombreuse de lances et des arquebusiers allemands, qui étaient en quartier à Askerten, ont traversé le Liddel comme on sonnait le couvre-feu, et ont incendié ma petite tour. Puisse le démon les en récompenser ! Il y avait plus d’un an qu’elle n’avait été brûlée. L’incendie de ma grange et de ma demeure a éclairé ma fuite, mais j’ai été poursuivi toute la nuit ; John d’Akeshaw et Fergus Grœme m’ont suivi de près, mais je leur ai fait face à Priesthaugh Scragg ; j’ai tué leurs chevaux dans les marécages, et j’ai percé Fergus d’un coup de lance. Je lui gardais rancune pour m’avoir enlevé mes vaches le carnaval dernier.

VII.

Des cavaliers hors d’haleine, venant de Liddesdale, confirmèrent ce récit. Autant qu’ils pouvaient en juger, on verrait paraître dans trois heures sur les rives du Teviot trois mille Anglais en armes. Cependant de nouvelles troupes arrivaient de Teviot, d’Ails et des bois d’Ettriek, pour prendre la défense de leur Chef. Partout on sellait les chevaux : les bruyères et les vallées étaient couvertes de cavaliers, et celui qui partait le dernier pour le rendez-vous essuyait les reproches ironiques de sa dame.

VIII.

Des hauteurs arides de Games-Cleugh, dont la base est baignée par les eaux argentées du lac de Sainte-Marie, l’intrépide Thirlestane rassemble ses braves lances autour d’une bannière brillante. La fleur de lis orne son écusson, depuis que le roi Jacques, campé sur les bords couverts de mousse du Fala, lui accorda cette distinction honorable, par reconnaissance pour sa fidélité pendant les dissensions intestines, alors qu’aucun des opiniâtres barons écossais, excepté le seul Thirlestane, ne voulut marcher contre les Anglais. C’est depuis qu’on voit dans ses armoiries un faisceau de lances, glorieux souvenir : Prêt, toujours prêt au combat, — telle est sa noble devise.

IX.

Un vieux chevalier endurci aux dangers conduit une bande nombreuse de maraudeurs. Les étoiles et le croissant brillent sur son bouclier, dans une bande d’azur sur un champ d’or. Ses domaines s’étendent au loin autour du château d’Oakwood et de celui d’Ower. Sa demeure est située au fond d’un bois, dans une sombre vallée, près du torrent de Borthwick. C’est là que les troupeaux enlevés sur les Anglais sont pour ses soldats audacieux une nourriture achetée par mille périls et au prix de leur sang. Chef de maraudeurs, son unique plaisir est de faire une excursion nocturne, et de livrer le combat au point du jour.

Même dans sa jeunesse les charmes de la fleur d’Yarrow n’avaient pu dompter son humeur guerrière ; sa vieillesse trouvait encore le repos insupportable, et le casque couvrait ses cheveux aussi blancs que la neige de Dinlay. Cinq jeunes guerriers marchaient, le glaive à la main, à la tête des soldats de leur père. Jamais chevalier plus brave que le seigneur de Harden n’avait ceint l’épée.

X.

Les Scotts d’Eskdale, troupe intrépide, descendirent en foule du Todshaw-Bill. Ils avaient conquis leurs domaines le fer à la main, et c’était le fer à la main qu’ils les conservaient. — Ecoutez, noble dame, comment vos aïeux sont devenus maîtres de la belle vallée d’Eskdale. Le comte Morton en était seigneur, et les Beattison étaient ses vassaux. Le comte était d’une humeur douce et pacifique, et ses vassaux, fiers et belliqueux, ne respectaient guère un seigneur ami de la paix. Le comte alla un jour à Eskdale pour s’y faire rendre foi et hommage, et s’adressant à Gilbert Gaillard : — Paie ton heriot 2, lui dit-il, et donne-moi ton meilleur coursier, comme c’est le devoir d’un vassal. — Mon coursier blanc m’est précieux, répondit Gilbert, il m’a tiré d’embarras plus d’une fois, et tout lord et comte que vous êtes, il est mieux entre mes mains que dans les vôtres. — Le comte en insistant aigrit tellement l’humeur indomptable du Beattison, que, s’il n’avait pris la fuite, les vassaux auraient tué leur seigneur. Il n’épargna ni le fouet ni l’éperon, et pressa tellement son coursier à travers les gras pâturages d’Eskdale, qu’il tomba épuisé de fatigue sur le seuil de la porte de Branksome.

XI.

Le comte était courroucé et avait soif de vengeance. — Fais passer ces traîtres sous ton joug, dit-il au lord de Branksome, je t’abandonne tout le domaine d’Eskdale
pour une paire de faucons et une bourse d’or. Malheur à toi, si tu laisses dans toute la vallée un pouce de terre à un seul homme du clan des Beattisons ! n’épargne que Woodkerrick, qui m’a donné son cheval pour fuir. L’intrépide Branksome accepte cette offre avec joie, il jette au comte une bourse pleine d’or, et part pour Eskdale à la tête de cinq cents cavaliers. Il les laisse derrière la montagne, et va seul dans la vallée trouver Gilbert et ses compagnons. — Reconnais-moi pour ton Chef et ton seigneur suzerain, lui dit-il, et ne crois pas me traiter comme le pacifique Morton, car les Scotts ne craignent personne le fer à la main. Acquitte-toi, sans murmurer, de l’heriot que tu me dois ; donne-moi ton cheval blanc, ou tu t’en repentiras. Si je sonne trois fois du cor, ce son retentira longtemps aux oreilles des habitans d’Eskdale.

XII.

Le Beattison répondit par un. sourire méprisant : — Ton cor ne nous inspire pas de crainte, et jamais Gilbert ne cèdera son coursier blanc à un Scott orgueilleux. Retourne à pied à Branksome avec tes éperons rouillés et tes bottes couvertes de boue. — Branksome à ces mots sonna du cor avec tant de force que le daim épouvanté en tressaillit jusqu’à Craig-Cross : il en sonna une seconde fois, et l’on commença à voir briller des lancés à travers le brouillard qui couvrait la montagnes à la troisième fois, ce son redoutable parvînt jusqu’aux rochers de Pentoun-Linn, et fut répété par leurs échos. Ses vassaux arrivèrent en un instant, et vous auriez vu alors une mêlée terrible. Que de cavaliers désarçonnés ! que de lances rompues ! Chaque parole insultante qu’avait prononcée Gilbert coûta la vie à un Beattison. Le Chef lui-même tira son épée et en perça l’orgueilleux Galliard. L’endroit où son sang teignit la terre se nomme encore la sépulture de Gilbert. Le clan des Beattisons fut détruit par les Scotts, et un seul d’entre eux conserva ses domaines. Ce fut ainsi que le cheval blanc fit changer de maître à toute la vallée que forme l’Esk depuis sa source jusqu’à son embouchure.

Après les Scotts on vit arriver Headshaw, Whitslade, surnommé le Faucon, et plus de guerriers que je n’en pourrais nommer, depuis Yarrow-Cleugh jusqu’à Hindhaugh-Swair, depuis Woodhousclie jusqu’à Chestergleu, fantassins et cavaliers armés d’arcs et de lances. Leur mot de ralliement était Bellenden, et jamais la frontière n’avait envoyé des troupes plus braves, soit pour assiéger une place, soit pour la secourir. La noble dame sentit son cœur s’enfler d’orgueil en voyant les secours qui lui arrivaient. Elle ordonna qu’on fit venir son fils, afin qu’il apprit à connaître les amis de son père, et à faire face à ses ennemis. — L’enfant est mûr pour la guerre, je l’ai vu bander un arc, j’ai vu sa flèche fidèle frapper un nid de corbeau sur le rocher. La croix rouge placée sur la poitrine de l’Anglais est plus large que le nid du corbeau : Whitslade, tu lui apprendras à manier les armes, et tu le couvriras du bouclier de son père.

XIV.

Comme vous pouvez bien le croire, le rusé page ne se souciait pas de paraître devant l’habile dame. Il feignit une frayeur enfantine, poussa des cris, versa des larmes, et se livra aux plaintes et aux gémissemens. On vint dire à la châtelaine qu’il fallait que quelque fée eût jeté un charme sur cet enfant naguère si fier et si hardi. La noble dame rougit de honte : — Qu’il s’éloigne avant que son clan soit témoin de sa faiblesse. Wat Tinlinn, tu seras son guide. Conduis ce rejeton dégénéré à Buccleuch, sur les bords solitaires du Rangleburn. Il faut que quelque mauvais génie ait maudit notre race, pour qu’un lâche ait reçu le jour de moi.

XV.

Wat Tinlinn avait reçu une commission pénible en se chargeant de conduire l’héritier supposé de Branksome. Dès que le palefroi sentit le poids du nain malfaisant, il
devint rétif, rua, se cabra, et refusa d’obéir aux rênes. Ce ne fut pas sans peine que Wat Tinlinn parvint à lui faire faire un mille d’Ecosse. Mais, comme ils traversaient un ruisseau peu profond, le page reprit tout à coup sa première forme, par une métamorphose semblable à celle des figures fantastiques que nos songes nous présentent. — Perdu ! perdu ! perdu ! s’écria-t-il en prenant la fuite ; et il riait en courant avec vitesse ; mais la flèche de Wat Tinlinn, plus prompte que le nain, lui perça l’épaule. La mort n’avait pas de droits sur le nain : sa blessure se guérit en un instant, nais la douleur lui arracha un grand cri. Wat Tinlinn, l’œil effaré, retourna au château de Branksome.

XVI.

Il est déjà sur le sommet de la hauteur qui domine sur les tours et sur les bois de Branksome ; un bruit lointain de guerre annonce l’arrivée des Anglais ; les sons de la cornemuse des frontières et du cor martial se confondent dans la,profondeur de la forêt. Il entend le hennissement des chevaux et les pas mesurés des soldats, que couvrait quelquefois le bruit éclatant des tymbales d’Almayn. Bientôt au-dessus du taillis il voit s’élever des bannières écarlates ; et les casques, les lances, les boucliers brillent à travers les buissons d’aubépine.

XVII.

Les fourrageurs, troupe légère, montés sur d’habiles coursiers, courent en avant pour reconnaître le terrain. Derrière eux, en rangs serrés, les archers de Kendal, en uniforme vert, sortent du bois au son du cor. A leur suite, et pour les soutenir, s’avancent les soldats de lord Dacre, armés de haches, race endurcie, née sur les bords de l’Irthing. Portant la ceinture blanche et la croix rouge 1, ils suivent la bannière qui avait flotté sur les murs d’Acre ; et tandis qu’ils s’avançaient en bon ordre, des ménestrels chantaient l’air : — Le noble lord Dacre habite les frontières.

XVIII.

Après les soldais anglais armés d’arcs et de haches, marchait d’un pas ferme et mesuré un corps de mercenaires. Ils combattaient sous les ordres de Conrad de Wolfenstein, qui les avait amenés des rives lointaines du Rhin, et qui vendait leur sang à prix d’argent. Ils n’avaient point de patrie, ne reconnaissaient pas de maître, n’avaient d’autre habitation qu’un camp, d’autre loi que leur sabre. Ils n’étaient pas armés comme les enfans de l’Angleterre, car ils portaient des mousquets lançant la foudre ; une poire à poudre était suspendue à leur écharpe ; et ils étaient couverts d’un justaucorps de buffle froncé et brodé. Leur genou droit était nu, pour qu’ils pussent plus facilement monter à l’escalade. En marchant, ils répétaient dans leur langue barbare des chants de guerre teutoniques.

XIX.

Mais le bruit augmente, et les chants des ménestrels s’élèvent. Lord Howard, à la tête de ses chevaliers, fait sortir du bois l’arrière-garde, composée de ses hommes d’armes, armés du glaive et de la lance. C’était parmi eux qu’on voyait maint jeune chevalier brûlant du désir de gagner ses éperons, et portant sur le cimier de son casque un ruban ou un gant, souvenir précieux de sa dame. Ils marchaient ainsi en bon ordre ; et, déployant ensuite leurs lignes, ils firent halte, et s’écrièrent : — Saint George et l’Angleterre.

XX.

Les Anglais fixent les yeux sur le château de Branksome. Ils en étaient si près, qu’ils pouvaient entendre bander les arcs. Sur les bastions et sur les remparts on voyait briller les haches, les lances et les pertuisanes ; des fauconneaux et des couleuvrines s’apprêtaient à lancer du haut des tours leur grêle meurtrière ; l’éclat des armes perçait les noirs tourbillons de fumée qui sortaient des fournaises où l’on faisait bouillir la poix et fondre le plomb, et semblables à la chaudière d’une sorcière. Tout à coup le pont-levis s’abaisse, le guichet s’ouvre, et l’on voit sortir le vieux sénéchal.

XXI.

Il est armé de toutes pièces, mais sans casque ; sa barbe blanche flotte sur sa cuirasse ; l’âge n’a pas courbé sa taille. Ferme sur ses arçons, il guide un coursier plein d’ardeur, tantôt modérant son feu, tantôt lui faisant faire des courbettes et des caracoles. Il tient de la main droite une baguette de saule, dépouillée de son écorce, en signe de trève : son écuyer qui le suit porte un gantelet au haut d’une lance. Dès que lord Howard et lord Dacre le voient sortir des murs, ils courent en avant de leur armée, pour savoir ce que le vieux sénéchal vient leur annoncer.

XXII.

— Lords anglais, lady Buccleuch vous demande pourquoi, au mépris de la paix qui règne entre les deux frontières, vous osez entrer à main armée sur les terres d’Ecosse, avec vos archers de Kendal, vos hommes d’armes de Gilsland, et vos bandes mercenaires ? Ma maîtresse vous engage à faire une prompte retraite, et si vous brûlez un seul fétu de paille, si vous effrayez une seule des hirondelles qui ont fait leurs nids sur nos tours, par sainte Marie ! nous allumerons une torche qui chauffera vos foyers dans le Cumberland.

XXIII.

Les yeux de lord Dacre étincelaient de courroux ; Howard, plus calme ; prit la parole : — Si ta maîtresse, sire sénéchal, veut s’avancer sur les murailles extérieures du château, notre poursuivant d’armes lui apprendra pourquoi nous sommes venus, et à quelles conditions nous nous retirerons.

Un messager partit, et la noble dame se rendit, sur les murs, entourée de ses Chefs, qui, appuyés sur leur lance, attendaient l’arrivée du poursuivant. Il parut bientôt, revêtu des couleurs de lord Howard ; le lion d’argent brillait sur sa poitrine ; il conduisait un enfant par la main ; Quel spectacle pour les yeux d’une mère ! c’était l’héritier du grand Buccleuch. Le héraut fit son salut, et annonça en ces termes les volontés de son maître.

XXIV.

— C’est à regret, puissante dame, que mes nobles seigneurs tirent l’épée contre une belle dame ; mais ils ne peuvent souffrir plus long-temps que toutes nos frontières du côté de l’occident soient pillées et ravagées par votre clan ; au mépris de toutes les lois ; il ne convient ni à votre naissance ni à votre rang d’ouvrir dans votre château un asile pour les proscrits. Nous réclamons de vous William Deloraine, afin qu’il subisse le châtiment de ses méfaits. Cette année encore, la veille de saint Cutl’bert, il est venu à Stapleton, sur le Leven, piller les terres de Richard Musgrave, dont il a égorgé le frère. Puisqu’une châtelaine privée de son époux ne peut réprimer ces audacieux maraudeurs, recevez dans votre château deux cents hommes d’armes de mon maître, sinon il va faire sonner la charge et donner l’assaut à votre garnison, et ce bel enfant sera conduit à Londres, pour être page du roi Edouard.

XXV.

Il se tut ; et l’enfant se mit à pleurer en étendant ses faibles bras vers les murailles ; il implorait le secours de tous ceux qu’il reconnaissait, et semblait vouloir embrasser sa mère. Les joues de la noble dame perdirent leurs couleurs, et une larme se glissa, malgré elle, entre ses paupières. Elle jeta les yeux sur les guerriers qui l’entouraient, et qui fronçaient le sourcil d’un air sombre ; puis, étouffant les soupirs qui cherchaient à s’échapper de son sein, elle reprit son sang-froid, et répondit avec calme :

XXVI.

— Dis à tes vaillans maîtres qui font la guerre aux femmes et aux enfans, que William Deloraine se justifiera par le serment 1 ou acceptera le combat contre Musgrave pour laver son honneur. Nul chevalier du Cumberland ne peut prétendre à un plus haut lignage, et il reçut de Douglas l’ordre de la chevalerie quand le sang anglais grossit les eaux de l’Ancram : lord Dacre le lui aurait vu conférer lui-même, sans la vitesse du coursier sur lequel il fuyait. Quant au jeune héritier de la maison de Branksome, que Dieu lui soit en aide, ainsi qu’à moi ! Je ne sacrifierai aucun de mes amis ; aucun de mes ennemis ne mettra le pied dans mon château, tant que je vivrai. Si donc tes maîtres persistent dans leur dessein, dis-leur que nous les défions hautement et hardiment ; notre slogan sera leur chant de mort ; le fossé qui entoure nos murs, leur sépulture.

XXVII.

Elle regarda autour d’elle avec fierté pour jouir de l’approbation des siens. Des éclairs de feu partirent des yeux de Thirlestané, Wat de Harden sonna du cor, on vit les étendards et les bannières se déployer de toutes parts, et l’on entendit retentir jusqu’au ciel ce cri de guerre : — Sainte-Marie et le jeune Buccleuch ! — Les Anglais y répandirent par le leur, et mirent leurs lances en arrêt ; les archers de Kendal firent un pas en avant et bandèrent leurs ares ; les ménestrels entonnèrent des chants de gloire ; mais avant qu’une seule flèche eût été décochée, un cavalier arriva au galop de l’arrière-garde.

XXVIII.

— Ah ! nobles lords, dit-il hors d’haleine, quelle trahison a fait découvrir votre marche ? A quoi songez-vous d’assiéger ces murs, quand vous êtes si loin de tout secours ? Vos ennemis triomphent et s’imaginent avoir pris le lion dans leurs filets. Déjà Douglas a convoqué le ban de ses vassaux au pied du sombre Ruberslaw, et leurs lances couvrent la plaine comme les nombreux épis des moissons. Sur la rive septentrionale du Liddel, lord Maxwell range ses braves hommes d’armes sous les bannières de l’aigle et de la croix, pour vous couper la retraite du côté du Cumberland ; les vallées de Jedwood, d’Esk et de Teviot prennent les armes à la voix du fier Argus, et les Merses et les Lauderdales suivent les drapeaux du vaillant Home. Exilé du Northumberland, j’ai long-temps erré dans le Liddesdale, mais mon cœur est toujours pour l’Angleterre ; j’ai frémi à la vue des dangers qui menacent mes compatriotes, et j’ai couru toute la nuit pour venir vous annoncer quelles forces se rassemblent contre vous.

XXIX.

— Qu’elles viennent ! s’écria l’impétueux Dacre ; ce cimier, l’orgueil de mon père, qui a flotté sur les rivages de la mer de Judée, qu’ont agité les vents de la Palestine, sera planté sur les plus hautes tours de Branksome, avant l’arrivée de ce secours tardif. Que la flèche parte, que les traits sifflent dans les airs, que la hache sape les murailles ; braves gens, criez tous : — Dacre et l’Angleterre ! — vaincre ou périr

XXX.

— Ecoutez-moi, dit Howard, écoutez-moi avec calme, et ne croyez pas que la crainte dicte mes paroles, car qui a jamais vu le lion blanc reculer sur le champ de bataille ou dans la mêlée ? mais risquer ainsi l’élite de nos frontières contre toutes les forces d’un royaume, vouloir que nos trois mille hommes combattent dix mille Ecossais, ce serait un acte de folie et de témérité. Acceptons les conditions de la noble dame, et que Musgrave se mesure avec Deloraine en combat singulier. S’il triomphe, nous profiterons de sa victoire ; s’il est vaincu nous n’aurons perdu qu’un guerrier, et notre armée évitera la défaite, la mort et la honte.

XXXI.

L’orgueilleux Dacre ne goûta point l’avis prudent de son frère d’armes ; il y céda toutefois d’un air sombre et mécontent. Mais les frontières ne virent plus ces deux
Chefs s’allier pour une expédition, et ce léger sujet de discorde fit plus tard répandre bien du sang.

XXXII.

Le poursuivant d’armes s’avança de nouveau vers le château. Un trompette demanda un pourparler, et les Chefs écossais parurent sur les murailles. Alors le héraut, au nom de Musgrave, défia Deloraine en combat singulier ; il jeta un gantelet, et proposa en ces termes les conditions du combat : — Si l’épée du vaillant Musgrave triomphe du chevalier Deloraine, votre jeune Chef, l’héritier de Branksome, restera en otage pour son clan. Si Deloraine est vainqueur du vaillant Musgrave, l’enfant vous sera rendu ; mais quoi qu’il arrive, l’armée anglaise, sans inquiéter les Ecossais et sans être inquiétée, rentrera paisiblement dans le Cumberland.

XXXIII.

Les Chefs écossais, quoique pleins de bravoure et de loyauté, pensèrent qu’on devait accepter cette proposition. Ils ignoraient le secours qu’on leur préparait, et, d’après le sac récent de Jedwood, ils savaient que les soldats du régent n’arrivaient jamais qu’avec lenteur. La noble dame n’était pas du même avis, mais elle n’osait avouer que son art secret, cet art qu’elle ne pouvait nommer, lui faisait connaître qu’on marchait en ce moment à son aide. La trève fut donc conclue, et l’on convint que le combat aurait lieu le lendemain, en champ clos, dans une prairie voisine, à la quatrième heure après le lever de l’aurore ; que les champions combattraient à pied avec la dague écossaise, et que Deloraine, ou quelque autre Chef, si sa blessure ne lui permettait pas de porter les armes, soutiendrait sa cause et celle de son jeune seigneur contre le vaillant Musgrave.

XXXIV.

Je sais fort bien que plus d’un ménestrel dit dans ses chants que les deux champions combattirent sur des coursiers écumans, armés d’une épée dont ils devaient se servir après avoir rompu leurs lances ; mais le barde habile qui fut mon maître m’apprit tous les détails de cet événement comme je les rapporte. Il connaissait toutes les clauses des lois et ordonnances sur les combats, portées par lord Archibald-le-Noir, et recueillies du temps du vieux Douglas. Il ne pouvait souffrir qu’une langue téméraire accusât ses chants de mensonge ou d’inexactitude, et il donna la mort au barde de Reull,qui dans un festin avait blessé sa fierté par un pareil reproche. Ils combattirent sur les bords du Teviot, et leurs mains, habituées à pincer la harpe, furent teintes de sang. On voit encore fleurir l’épine blanche qu’il planta sur la tombe de son rival, en souvenir de sa victoire.

XXXV.

Pourquoi parlerais-je du sort cruel qui entraîna mon maître dans le tombeau ? Les jeunes filles d’Ousenam s’arrachèrent les cheveux et versèrent tant de larmes qu’elles en perdirent la vue, pour l’amour du barde qui mourut à Jedwood. Il mourut ; ses élèves l’ont suivi l’un après l’autre dans la tombe silencieuse ; moi seul, hélas ! je leur survis, pour me rappeler mes anciens rivaux, pour regretter de ne plus entendre leurs chants que je n’écoutais qu’avec envie ; l’envie qu’ils m’inspiraient s’est éteinte avec eux.

Le vieux ménestrel fit une pause, et les dames l’applaudirent de nouveau. Leurs éloges étaient en partie sincères, et en partie dictés par la compassion. La duchesse s’étonna que ses chants pussent si bien retracer des faits si anciens et des combats dont le souvenir n’existait plus. Comment pouvait-il célébrer des forêts que la hache avait renversées, des tours dont les ruines servaient de retraite aux animaux sauvages, des mœurs si étranges, des Chefs qui sommeillaient sous la pierre funéraire depuis tant de siècles, quand déjà la renommée avait effacé leurs noms des murs de son temple, et couronné la tête d’un nouveau favori de ces lauriers acquis au prix de leur sang ? N’était-il pas surprenant que les vers de ce vieillard eussent le pouvoir de les évoquer de la nuit des tombeaux ?

Le ménestrel sourit de plaisir, car jamais la flatterie n’est perdue pour l’oreille du poète. Race pleine de simplicité ! pour récompense de tous leurs travaux, ils ne demandent que le vain tribut d’un sourire ; c’est un souffle puissant qui ranime leur ardeur quand l’âge vient l’éteindre. Leur imagination se réveille à la voix de la louange, et s’efforce d’entretenir sa flamme mourante.

Le vieillard sourit donc d’un air satisfait, et continua ses chants en ces termes.

__________

CHANT CINQUIÈME.

I.

— Non, ils ne se trompent pas ceux qui disent que quand le poète cesse d’exister, la nature muette porte le deuil de son interprète et célèbre ses funérailles ; le rocher qui perce la nue, la caverne solitaire, gémissent sur l’absence du barde ; les montagnes pleurent en ruisseaux de cristal ; les fleurs répandent les larmes d’une rosée embaumée, les vents soupirent à travers les bosquets qu’il a chéris ; les chênes y répondent par de sourds gémissernens, et les fleuves apprennent à leurs ondes à murmurer un chant funèbre autour de sa tombe.

II.

Ce n’est pas que ces êtres inanimés puissent réellement gémir sur l’urne d’un mortel ; mais les ondes, les bois, les vents, ont une voix qui s’unit aux regrets plaintifs de ceux qui n’échappaient à l’oubli que par les chants fidèles du poète, et dont la mémoire va s’évanouir une seconde fois avec son dernier soupir. L’ombre pâle de la jeune fille qui déplore l’oubli où va être enseveli l’amour, le véritable amour, fait tomber les larmes de la rose et de l’aubépine sur le cercueil du ménestrel. Le fantôme du chevalier qui voit sa gloire s’éclipser sur la plaine qu’il a couverte de morts monte sur le vent des ouragans, et fait retentir de ses cris le champ de bataille. Du haut des nuages qui lui servent de trône, le Chef, dont l’antique couronne féodale brilla long-temps dans les vers du poète, voit, dans les domaines qui lui appartenaient autrefois, ses cendres reposer sans distinction ; son rang, son pouvoir, sa mémoire même se perdent dans l’obscurité des âges ; ses gémissemens remplissent les cavernes solitaires, et dans sa douleur ses larmes grossissent le cours des ruisseaux ; tous regrettent que la harpe brisée du ménestrel ne chante plus leurs louanges, ne fasse plus entendre leur nom.

III.

A peine avait-on arrêté les soldats prêts à donner l’assaut ; à peine était-on convenu des conditions de la trève, qu’on aperçut du haut des tours de Branksome une troupe nombreuse de guerriers qui s’avançaient pour secourir le château. D’épais nuages de poussière s’élevaient dans le lointain ; on, entendait le bruit sourd de la marche des chevaux ; un rayon de soleil faisait briller de temps en temps les lances qui s’élevaient au-dessus, des rangs ; et les bannières féodales déployées désignaient les Chefs qui arrivaient au secours de Branksome.

IV.

Je n’ai pas besoin de nommer chacun des braves dans qui venaient du centre des frontières. Le Cœur sanglant brillait à l’avant-garde et annonçait Douglas, nom redouté. Je n’ai pas besoin de dire quels nobles coursiers hennirent, quand les sept lances de Wedderburne 1 rangèrent leurs soldats en ordre de bataille, et que Swinton tint en main cette arme redoutable qui avait autrefois humilié la tête superbe de Clarence Plantagenet ; et à quoi bon parler de cent autres braves chevaliers venant de Lammermoor, du riche Merse 1 et des belles rives de la Tweed, sous les bannières réunies d’Hepburn et du vieux Dunbar ? on voyait étinceler leurs armes, tandis qu’ils descendaient la montagne, en criant : — Home ! Home !

La noble dame de Branksoine, remplie de courtoisie, fit partir de la tour des chevaliers et des écuyers, pour remercier ces vaillans Chefs du secours prompt et puissant qu’ils lui apportaient ; pour les informer qu’une trève avait été conclue, et qu’un combat devait avoir lieu entre Musgrave et le brave Deloraine ; elle les fit inviter à y assister, et à accepter l’hospitalité dans son château. Mais en faisant bon accueil à ses compatriotes, elle n’oublia pas les lords anglais. Le vieux sénéchal alla lui-même les engager de sa part de la manière la plus civile, à se rendre à Branksome. Howard, que nul chevalier ne surpassait en bravoure pendant la guerre ni en courtoisie pendant la paix, accepta cette invitation sans hésiter ; mais Pacte courroucé préféra se reposer sous sa tente.

VI.

Maintenant, noble dame, vous me demanderez peut-être comment les deux armées ennemies se réunirent : vous pensez que ce n’était pas une tâche facile que de maintenir la trève entre ces cœurs guerriers ces aines de feu, qui ne respiraient que la colère, le sang et la mort. Une haine héréditaire, l’esprit national, des guerres habituelles divisaient les Chefs qui se rencontrèrent sur les rives du Teviot ; et cependant, sans se menacer, sans froncer le sourcil, ils s’abordèrent comme des frères qui se retrouvent dans un pays étranger. Les mains qui naguère tenaient la lance, et couvertes encore du gantelet de fer, se cherchèrent avec franchise. Les visières des casques se levèrent, et bien des amis se reconnurent dans les rangs opposés. — Les uns se livrent aux plaisirs de la table, les autres, poussant des cris joyeux, s’exercent à différens jeux, et la boule, les dés, les dames et le ballon les aident à passer la journée.

VII.

Si pourtant le cor avait fait entendre le signal de la guerre, ces guerriers confondus avec tant de franchise, ces mains qui se pressaient avec tant de cordialité, auraient ensanglanté la terre. Les rives du Teviot, au lieu de retentir de cris de joie, n’auraient plus entendu que le cri terrible de la guerre et les gémissemens de la mort : les whingers 1, employés dans le festin à un usage pacifique, auraient versé le sang des convives. Ce passage soudain de la paix à la guerre n’était autrefois ni rare ni regardé comme étrange sur les frontières. Cependant tout était en paix dans le château de Branksome et dans les environs quand le dernier rayon du soleil en couronna les créneaux.

VIII.

Ces signes heureux d’une joie bruyante ne cessèrent pas avec le jour. Bientôt on vit sortir des hautes fenêtres grillées de la grande salle de Branksome des rayons d’une clarté qui succédait à celle du soleil, et les lambris continuèrent à retentir des sons de la harpe et du choc des verres. Cependant dans toute la plaine, sur laquelle les ombres commençaient à se répandre, on entendait appeler et crier ; chaque clan cherchait à réunir ses traîneurs en frappant leurs oreilles du mot de ralliement, tandis que ceux qui étaient encore à table portaient à haute voix des santés en l’honneur de Dacre ou de Douglas.

IX.

Tout ce bruit s’affaiblit peu à peu, et finit par mourir entièrement ; et des hauteurs de Branksome on n’entendait plus que le murmure des ondes du Teviot, la voix de la sentinelle qui donnait le mot d’ordre quand on venait la relever de sa garde, et les coups pesans de la hache et du marteau, qui partaient de l’épaisseur du bois ; car plus d’une main y travaillait à préparer des pieux et des palissades, pour former le champ clos du combat du lendemain.

X.

Marguerite quitta bientôt la salle, malgré le coup d’œil de reproche que lui lança sa mère ; et elle ne remarqua pas, en s’éloignant, les soupirs qui s’échappaient en secret du sein de maint guerrier, car plus d’un noble défenseur, plus d’un allié valeureux, aurait voulu intéresser le cœur de la fleur charmante du Teviot. Le cœur agité, l’esprit inquiet, elle ne goûta qu’un sommeil interrompu dans son appartement solitaire, et plus d’une fois elle se leva de sa couche entourée de rideaux de soie. Tandis que ses nobles hôtes reposaient encore, elle vit paraître l’aube du jour. De tous ceux qui. goûtaient le repos dans Branksome, la beauté la plus aimable et la plus parfaite fut celle qui s’éveilla la première.

XI.

Elle jeta un regard sur la cour intérieure que les murs élevés de la tour enveloppaient encore de leur ombre ; dans cette cour, qui la veille avait retenti du bruit des armes et des hennissemens des coursiers, règne le plus profond silence. Mais quel est ce guerrier d’une taille imposante, et armé d’éperons brillans, qui s’avance soudain ?... Il lève sa tête couronnée d’un panache. — Sainte Marie ! est-ce bien lui ? Il marche dans le château ennemi de Branksome sans plus de crainte que s’il était dans le domaine d’Ousenam ! Marguerite n’ose proférer une parole, elle n’ose faire un geste….. Si un seul page se réveille... une mort prompte l’attend. Toutes les perles de la reine Marie, les larmes plus précieuses encore de Marguerite, ne pourraient racheter un seul de ses jours.

XII.

Cependant il ne courait guère de risque. Vous pouvez vous rappeler le charme du malicieux page ; il l’avait communiqué à son maître, qui, par la vertu de ce secret magique, paraissait un chevalier de l’Ermitage. Il passa pour tel aux yeux des gardes et des sentinelles, et personne ne songea à l’arrêter. Mais quel charme magique aurait été assez puissant pour le déguiser aux yeux de Marguerite ? Elle se lève brusquement, tressaille de crainte et de surprise, et ces deux sentimens peuvent à peine maîtriser l’amour. Lord Henry est à ses pieds.

XIII.

Je me suis demandé bien des fois quel motif ce lutin malicieux pouvait avoir eu pour faciliter cette entrevue. L’amour heureux est un spectacle céleste, et un esprit de ténèbres n’y peut trouver aucun plaisir. Peut-être s’était-il imaginé que de cette passion devaient naître la honte et les regrets ; qu’elle causerait la mort du vaillant Cranstoun, le déshonneur et la perte de l’aimable Marguerite ; mais il ne lui était pas donné de connaître des cœurs si sincères. Le véritable amour est une vertu que Dieu n’a accordée dans ce inonde qu’à l’homme seul. Ce n’est pas le feu brûlant du caprice qui ne brille que pour s’éteindre ; il ne doit pas sa naissance au désir, et rie meurt pas avec lui. C’est cette sympathie secrète, nœud de soie et d’or, qui unit le cœur au cœur et l’esprit à l’esprit. Mais laissons Marguerite avec son chevalier, et parlons du combat qui va se livrer.

XIV.

Les cors ont déjà donné le premier signal ; chaque clan est éveillé par le son des cornemuses. Tous les guerriers s’empressent de courir pour être témoins du combat ; ils entourent le champ clos, appuyés sur leurs lances, telles que les pins dépouillés de feuilles dans la forêt d’Ettrick. Tous ont les yeux fixés sur le château de Branksome pour en voir sortir les combattans, et chacun vante les prouesses de celui des champions que ses vœux favorisent.

XV.

Cependant la noble maîtresse du château n’était pas sans inquiétude, car une querelle s’était élevée entre Harder et Thiriestane, jaloux l’un et l’autre de combattre pour Deloraine. Chacun d’eux faisait valoir sa fortune, son rang, sa noblesse, déjà ils fronçaient les sourcils ; mais ils furent bientôt d’accord, car tout à coup on vit paraître Deloraine lui-même, guéri de toute souffrance, paraissant avoir recouvré toute sa vigueur, armé de pied en cap, et réclamant le droit de soutenir lui-même sa querelle. La châtelaine s’applaudit de la vertu de son charme, et les deux fiers rivaux renoncèrent à leurs prétentions.

XVI.

En partant pour le champ clos, Howard tint les rênes de soie du palefroi de la noble clame, et marcha sans armes à son côté, lui parlant avec courtoisie de faits d’armes du temps passé. Il était richement vêtu : des dentelles de Flandre tombaient sur sa veste de peau de buffle doublée et bordée de soie ; ses bottes de cuir jaune étaient armées d’éperons d’or ; son manteau était de fourrure de Pologne ; et son haut-de-chausses couvert d’une broderie en argent ; son glaive de Bilbao, dont plus d’un maraudeur avait senti le tranchant, était suspendu à un large baudrier enrichi de pierres précieuses, et de là venait que sur toutes les frontières les habitans, dans leur style grossier, nommaient le noble Howard — William au Baudrier.

XVII.

Derrière lord Howard et la noble dame était la belle Marguerite, montée sur son palefroi. Sa robe, qui flottait jusqu’à terre, était d’une blancheur éclatante, ainsi que sa guimpe et son voile ; une guirlande de roses blanches enchaînait les tresses de ses blonds cheveux. Le comte Angus était près d’elle, et cherchait à l’égayer par une conversation agréable. Sans l’aide du chevalier, sa main eût cherché en vain à guider ses rênes brodées. Il crut qu’elle frémissait de la pensée d’un combat à outrance ; mais une autre cause de terreur, que personne ne pouvait soupçonner, fit palpiter son sein quand elle se plaça auprès de sa mère sur les fauteuils couverts de soie cramoisie qui leur étaient destinés.

XVIII.

Prix du combat, le jeune Buccleuch était conduit par un chevalier anglais. A peine l’enfant songeait-il à la perte de sa liberté, tant il brûlait du désir de voir les champions en venir aux mains. Le fier Home et l’orgueilleux Dacre parcourent la lice à cheval, avec toute la pompe de la chevalerie, tenant en mains leurs baguettes d’acier, comme maréchaux du combat. Leurs soins assurèrent à chaque champion un même avantage de vent et de soleil. Les hérauts défendirent alors à haute voix, au nom du roi, de la reine et des maréchaux, que personne, sous peine de mort, tant que le combat durerait, osât donner aucune aide à l’un ou à l’autre champion, par regards, par gestes ou par paroles ; on les écouta dans un profond silence, et les deux hérauts firent alternativement ces deux proclamations :

XIX.

Le héraut anglais

— Voici Richard de Musgrave : vrai chevalier et de naissance libre, prêt à demander réparation des actes de violence et des dévastations insultantes commises par Deloraine. Il dit que William Deloraine est un traître, suivant les lois des frontières, et il le soutiendra les armes à la main. Que Dieu et sa bonne cause lui soient en aide !

XX.

Le héraut écossais

— Voici William Deloraine, vrai chevalier et de noble naissance. Il dit que jamais acte indigne de trahison n’a souillé son écu depuis qu’il porte les armes, et qu’avec l’aide de Dieu il le prouvera contre Musgrave qui en a lâchement menti par la, gorge.

LORD DACRE.

— En avant, braves champions, le champ est ouvert : trompettes, sonnez.

LORD HOME.

— Que Dieu défende le droit !

Rives du Teviot, combien vos échos retentirent, lorsqu’au son des cors et des trompettes, les deux ennemis pleins d’ardeur s’élancèrent l’un contre l’autre ! le bouclier levé, l’œil attentif, et d’un pas mesuré, les voilà qui se rencontrent au milieu de la lice !

XXI.

Aimables dames qui m’écoutez, vos oreilles délicates frémiraient d’entendre comment les casques résonnèrent sous les coups de la hache pesante, comme le sang jaillit de mainte blessure, car le combat fut long et acharné, et chacun des guerriers était aussi vigoureux que brave. Mais, si j’adressais mes chants à des chevaliers, je pourrais entrer dans les détails du combat, car j’ai vu briller l’éclair de la guerre, j’ai vu la claymore se croiser avec la baïonnette, j’ai vu le fier coursier marcher dans des flots de sang, et refuser de faire un pas en arrière pour sauver sa vie.

XXII.

C’en est fait ! c’en est fait ! ce coup fatal l’a étendu sur la terre ensanglantée. Il cherche à se relever. Non, brave Musgrave, tu ne te relèveras plus. Le sang l’étouffe ; que la main d’un ami détache son casque, et desserre l’agrafe de son hausse-col pour qu’il puisse respirer plus librement. Soins inutiles ! Hâtez-vous, saint frère, hâtez-vous, et avant que le pécheur expire, venez l’absoudre de toutes ses fautes, et aplanissez à son ame le chemin de la terre au ciel.

XXIII.

Le saint frère accourut en diligence. Ses pieds nus se teignirent de sang en traversant l’arène. Sourd aux cris de joie qui proclamaient le triomphe du vainqueur, il souleva la tête du guerrier mourant ; sa barbe et ses cheveux blancs flottaient sur sa poitrine et ses épaules, tandis qu’il priait à genoux près de lui, et qu’il présentait le crucifix à ses yeux déjà couverts d’un nuage. — Il prête une oreille attentive à l’aveu de ses fautes, en soutenant sa tête ensanglantée ; au moment de la séparation de l’ame et du corps, il lui prodigue des consolations spirituelles et lui inspire la confiance en Dieu. Mais le chevalier ne l’entend pas, l’agonie de la mort est passée ; Richard de Musgrave ne respire plus.

XXIV.

Comme si le combat eût épuisé ses forces, ou qu’il eût réfléchi sur ce triste spectacle, le vainqueur reste immobile et silencieux. Il ne baisse pas la visière de son casque, il n’entend pas les cris de victoire qui s’élèvent dans les rangs des Ecossais, il ne sent pas les mains qui s’empressent de venir serrer les siennes. Mais tout à coup des cris de surprise mêlée d’une sorte de terreur partent de toutes parts, et les rangs les plus serrés s’ouvrent à la hâte pour faire place à un homme pâle et à demi nu, qui accourt du château. Il saute par-dessus les barrières d’un seul bond, il promène autour de lui ses yeux hagards, comme un malade en délire. Chacun reconnaît William Deloraine. Les dames se lèvent de leurs sièges en tressaillant, et les deux maréchaux sautent à bas de leurs coursiers. — Qui es-tu donc, s’écrient-ils, toi qui as combattu et emporté la victoire ? — Le vainqueur détache son casque : — Je suis Henry Cranstoun, répond-il, et voilà le prix pour lequel
j’ai combattu.. — A ces mots, prenant par la main le jeune Buccleuch, il le conduit à sa mère.

XXV.

Elle couvrit de baisers le fils qui lui était rendu, et le pressa long-temps sur son sein ; car malgré l’intrépidité qu’elle avait cherché à montrer, son cœur avait tremblé à chaque coup porté à son champion. Cependant elle ne daigna pas remercier lord Cranstoun, qui fléchissait un genou devant elle. Il n’est pas besoin de rapporter tout ce que dirent Douglas, Home et Howard, car Howard était un ennemi généreux, ni les prières que tout le clan adressa à la châtelaine pour qu’elle oubliât la haine qui avait divisé les deux familles, et daignât bénir l’hyménée du seigneur de Cranstoun avec la fleur du Teviot.

XXVI.

Elle jeta les yeux alternativement sur la rivière et sur la montagne, et se rappela les paroles prophétiques des deux esprits. Rompant enfin un silence jusqu’alors inflexible : — Ce n’est pas vous qui l’emportez, dit-elle, mais je cède à la destinée. Les astres peuvent verser une influence favorable sur les eaux du Teviot et sur la tour de Branksome, car l’orgueil est dompté et l’amour est libre 1. — Prenant alors la main de la belle Marguerite qui, éperdue et tremblante, pouvait à peine respirer et se soutenir, elle la mit dans celle du lord Cranstoun : — Que ce nœud d’amour, dit-elle, attache nos deux maisons l’une à l’autre, et soit le gage d’une fidélité réciproque et inviolable ; c’est aujourd’hui le jour de vos fiançailles, et ces nobles lords voudront bien rester pour les honorer de leur présence.

XXVII.

En retournant au château, elle apprit de Cranstoun comment il avait combattu Deloraine ; comment son page avait soustrait au chevalier blessé le livre merveilleux ; comment il s’était introduit le matin dans le château, à l’aide d’une illusion magique ; et comment le nain ayant dérobé l’armure du chevalier, tandis que celui-ci dormait, il avait paru dans la lice sous son nom. Mais il ne lui fit que la moitié du récit, et passa sur son entrevue avec Marguerite. La dame ne voulut pas faire paraître au grand jour les secrets de son art mystérieux, mais elle se promit de punir avant minuit l’audace de ce page étrange, de retirer le livre de ses mains impures, et de le rendre à la tombe de Michel.

Je ne parlerai pas des discours pleins de tendresse de Marguerite et de son amant. Elle lui conta combien son sein avait été agité, et quelles craintes elle avait éprouvées pendant qu’il se mesurait contre Musgrave. Je ne vous peindrai pas leur bonheur ; un jour, belles demoiselles, vous le goûterez à votre tour.

XXVIII.

William Deloraine, en s’éveillant d’un sommeil léthargique, avait appris par hasard qu’un autre chevalier couvert de ses armes et portant son bouclier, combattait en champ clos, sous son nom ; contre le fier Musgrave. Il y courut aussitôt sans être armé, et sa présence répandit la terreur et la consternation, car on le prit pour son propre spectre 1, et non pour un homme vivant. Ce nouvel allié n’était guère de ses amis ; mais quand il vit l’heureux résultat de cet événement, il le félicita de bon cœur et ne voulut pas réveiller une ancienne querelle ; car, quoique grossier et peu courtois, son cœur ne nourrissait pas une haine implacable ; et dans ses incursions il ne répandait le sang que lorsqu’il éprouvait de la résistance, ou, comme cela était juste, quand il s’agissait d’une guerre à mort. Jamais il ne conservait de ressentiment d’une blessure qu’un vaillant ennemi lui avait faite honorablement, Tel parut en effet William Deloraine, en jetant les yeux sur le corps de Musgrave. Son front trahit ses regrets mal déguisés par son air soucieux et sévère ; il baissa la tête avec douleur, et célébra ainsi la gloire du vaincu :

XXIX.

— Te voilà donc sans vie, Richard Musgrave, mon mortel ennemi, devrais-je dire ! car si le frère que tu chérissais a péri sous mes coups, tu m’avais privé du fils d’une sœur, et quand je fus plongé, pendant trois grands mois, dans un noir cachot du château de Haworth, jusqu’à ce que j’eusse payé une rançon de mille marcs d’argent, c’est à toi que j’en étais redevable. Si nous pouvions combattre aujourd’hui, si tu étais vivant comme moi, nul mortel ne pourrait nous séparer avant qu’un de nous ne restât sur l’arène. Et cependant la paix soit avec toi, car je sais que je ne trouverai jamais un plus noble ennemi. Dans tous nos comtés du nord, où le mot de ralliement est la bride, l’éperon et la lance, personne ne savait mieux que toi poursuivre son butin. C’était un plaisir, en se retournant, de te voir donner la chasse à ton ennemi, exciter les limiers féroces, et animer par les sons de ton cor les vassaux qui te suivaient. Je donnerais les terres de Deloraine, fier Musgrave, pour que tu vécusses encore !

XXX.

Il ne cessa de parler que lorsque la troupe de lord Dacre se prépara à rentrer dans le Cumberland. On releva le corps du brave Musgrave, on l’étendit sur son bouclier, qu’on plaça sur des lances, et quatre hommes, que d’autres relevaient à tour de rôle, se chargèrent de ce noble fardeau. Les vents portaient au loin les chants plaintifs des ménestrels. Quatre prêtres, en longues robes noires, suivaient le corps et récitaient des prières pour le repos de son ame. Les cavaliers s’avançant à pas lents, et les porte-lances les suivant à pied, formaient le reste du cortège. Ce fut ainsi qu’on transporta les restes du vaillant chevalier à travers le Liddesdale, jusqu’aux rives du Leven ; il fut déposé sous la nef élevée d’Holme Coltrame, dans la sépulture de ses pères.

__________

Le barde avait cessé de chanter, mais les cordes de sa harpe faisaient encore entendre les sons d’une marche funèbre. Ses accords variés avec art, semblaient partir tantôt de loin, tantôt de près, s’affaiblir par degrés, et soudain devenir plus sonores. C’était un torrent descendant avec fracas du haut des montagnes, et puis ne faisant plus entendre qu’un doux murmure au fond de la vallée. Il imitait tour à tour les airs mélancoliques des bardes, les chants solennels de l’église, et il finit par le chœur des prêtres qui fermaient la tombe du guerrier.

Après quelques instans d’intervalle, les dames lui demandèrent pourquoi un ménestrel si habile sur la harpe, errait ainsi dans un pays trop pauvre pour récompenser dignement ses talents, pourquoi il n’allait pas dans les contrées du sud, oit sa main habile trouverait un appui plus généreux.

Quelque chère que lui fût sa harpe, sou unique amie, le vieux ménestrel n’aimait pas à lui entendre donner une préférence si marquée sur ses chants : il aimait encore moins qu’on parût rabaisser la patrie qu’il chérissait tant, et il prit un ton plus élevé pour continuer ses poétiques récits.

CHANT SIXIEME.

I.

Est-il un homme dont l’ame soit assez insensible pour ne s’être jamais dit : — Voici ma patrie ! ma terre natale ! Est-il un homme qui n’ait pas senti son cœur s’enflammer quand après avoir erré dans des contrées étrangères, il tourne ses pas du côté de son pays. Si un tel homme existe, remarquez-le bien, le noble  enthousiasme du ménestrel lui est inconnu. Quelque élevé qu’il soit par son rang, quelque fier qu’il soit de son nom, en dépit de ses titres, de son pouvoir et de ses richesses, le malheureux, concentré en lui-même, vivra sans gloire, et, frappé d’une double mort, rentrera dans la poussière dont il est sorti, sans qu’aucune larme, sans qu’aucuns chants honorent sa mémoire.

II.

O Calédonie, fière et sauvage nourrice du génie poétique, terre de bruyères et de forêts, terre de montagnes et de lacs, terre de mes pères, quelle main mortelle pourrait rompre le lien filial qui m’attache à tes rochers ! Quand je revois les lieux témoins de ma jeunesse, quand je songe à ce qu’ils furent, à ce qu’ils sont, il me semble que, seul dans le monde, je n’ai plus d’autres amis que tes bois et tes ruisseaux., et l’excès même du malheur fait que je les chéris davantage. J’aime à errer sur les rives de l’Iarrow, quoique une main compatissante n’y guide point mes pas chancelans ; j’aime à sentir le vent impétueux qui part de la forêt d’Ettrick, quoique son souffle glace mes joues flétries ; j’aime à reposer ma tête sur les rochers du Teviot, quoique le barde soit condamné à y rendre le dernier soupir dans la solitude et l’oubli.

III.

Ils n’étaient pas méprisés comme moi, ces ménestrels qu’on appela de toutes parts au château de Branksome. Ils y arrivèrent en foule, et des environs et îles comtés les plus éloignés. Ministres joyeux de la gaieté et de la guerre, également prêts à partager les plaisirs d’un festin ou les dangers d’un combat, on les voyait dans la salle du banquet et sur le champ de bataille. Naguère ils avaient fait entendre leurs chants guerriers à l’avant-garde de leurs clans belliqueux ; maintenant les portes de fer s’ouvrent aux accords plus doux de leurs harpes et de leurs cornemuses. Ils dansent, boivent, et font retentir les tours de leurs accens d’allégresse.

IV.

Je ne dirai point la splendeur avec laquelle la fête de l’hymen fut célébrée. A quoi bon décrire les jeunes filles, les nobles dames, les écuyers et les chevaliers qui se réunirent dans la chapelle ; les bijoux, les riches manteaux, les fourrures de prix, les panaches ondoyans, les éperons et les chaînes d’or, qu’on vit briller autour de l’autel. Quel barde pourrait peindre cette aimable rougeur que la pudeur faisait naître et mourir tour à tour sur les joues de Marguerite ?

V.

Quelques bardes ont dit que sa mère n’approcha pas de l’autel, n’entra même pas dans la chapelle, n’assista point à la cérémonie sainte, parce qu’elle n’osait paraître dans un lieu consacré : mais ces bruits sont faux et calomnieux. Elle ne s’occupait pas de magie noire ; il est certaines formules et certains signes qui ont du pouvoir sur les esprits par l’influence des planètes ; mais j’ai peine à approuver ceux qui se livrent à cet art dangereux. Cependant je puis dire avec vérité que la noble dame était près de l’autel. Elle portait une robe de velours noir bordée d’hermine, avait sur la tête une coiffure de soie cramoisie, brodée en or et en perles, et tenait sur le poing un faucon attaché avec une tresse de soie.

VI.

La cérémonie nuptiale se termina vers midi, et un festin splendide fut servi dans la grande salle. L’intendant et les écuyers s’empressèrent d’assigner la place à chaque convive. La table était couverte des mets les plus recherchés ; on n’y avait oublié ni le paon doré, ni la tête de sanglier, ni le ptarmigan, ni le jeune cygne des étangs de Sainte-Marie. Le prêtre donna sa bénédiction à tous les mets, les pages se mirent à découper et à servir. Qui pourrait dire le bruit qui régna alors dans la salle, au dehors, et jusque sur la tête des convives ? car les trompettes, les cornemuses et les psaltérions retentissaient dans la galerie. Les vieux guerriers parlaient haut et riaient en vidant leurs coupes sonores ; les jeunes chevaliers, d’un ton plus doux, parlaient à demi-voix aux belles dames qui les écoutaient en souriant. Les faucons chaperonnés, sur leurs perchoirs ;, battant des ailes et secouant leurs sonnettes, joignaient leurs cris aux aboiemens des chiens de chasse ; les échansons versaient à grands flots les meilleurs vins du Rhin, d’Orléans et de Bordeaux ; tout était joie, bruit et plaisir.

VIII.

Le lutin de page, ne perdant jamais l’occasion de faire le mal, voulut profiter du moment où les têtes s’échauffaient, pour semer la haine et la discorde. Conrad de Wolfenstein, naturellement hautain, était mécontent d’avoir perdu quelques-uns de ses coursiers. Le nain lui persuada que le vaillant Hunthill de Rutherford, qu’on avait surnommé Dick Sabre-en-main, les lui avait dérobés. Wolfenstein se prend de paroles avec lui, s’emporte, et le frappe de son gantelet. Howard, Home et Douglas se levèrent aussitôt, et cherchèrent à apaiser cette querelle naissante. Rutherford dit peu de choses et se borna à mordre son gant et à secouer la tête. Quinze jours après, le chien d’un bûcheron trouva, dans la forêt d’Inglewwood, le brave Conrad percé de coups, baigné dans son sang et sans vie. On ne put découvrir comment il avait péri, mais on ne lui trouva plus son sabre, et l’on dit que depuis ce temps Dick porta une lame de Cologne.

VIII.

Le nain, qui craignait que son maître ne s’aperçût de ses manœuvres perfides, se rendit alors dans l’office où les principaux vassaux se livraient à la gaieté aussi franchement que les nobles lords dans la salle d’apparat. Wat


Tinlinn invita Arthur-le-Brûleur à proposer une santé, et celui-ci, par courtoisie, porta celle des braves hommes d’armes d’Howard. Les Anglais ne voulurent pas céder en politesse aux Ecossais ; et Roland Forster s’écria à haute voix : — Un toast à votre belle mariée ! — L’ale brune remplit les coupes de son écume pétillante, aux bruyantes acclamations de tous les convives. Jamais pareils transports de joie n’avaient éclaté parmi le clan de Buccleuch depuis le jour où la mort d’un cerf avait acquis ce nom au premier de leurs Chefs.

IX.

Le méchant page n’avait pas oublié l’arc de Wat Tinlinn. Il jura de se venger et de lui faire payer bien cher son adresse à décocher une flèche. D’abord il le tourmenta par des railleries piquantes : il raconta comment il avait pris la fuite à la bataille de Solway, et comment Hob Armstrong avait consolé sa femme. Bientôt, craignant encore son bras vigoureux, il lui joua plus d’un tour malin en tapinois, faisant disparaître de son assiette les meilleurs morceaux, et renversant le pot de bière qu’il portait à ses lèvres. Enfin, se glissant adroitement sous la table, il lui enfonça dans le genou une épingle acérée dont la pointe envenimée lui fit une blessure qui ne put se guérir de long-temps. Tinlinn se lève en jurant de colère, renverse la table et les flacons. Mais, au milieu du tumulte et des clameurs, le nain retourna dans la grande salle, y prit son poste dans un coin obscur ; et murmura en faisant une grimace effroyable : — Perdu ! perdu ! perdu !

X.

Cependant la noble dame, craignant que quelque nouvelle querelle ne vînt encore troubler la bonne intelligence, ordonna aux ménestrels de commencer leurs chants. Un vieux barde, partant un ancien nom, Albert Grœme, se présenta d’abord. Personne ne pinçait la harpe comme lui dans toute l’étendue du territoire contesté. Son clan audacieux ne connaissait pas d’amis. N’importe qui perdait, il gagnait toujours, et il enlevait les troupeaux sur les frontières d’Ecosse comme sur celles d’Angleterre. Le ménestrel commença ses chants sur un mode simple, tel que le lui inspirait la nature.

XI. ALBERT GROEME.

— Il était une belle dame anglaise (le soleil brille sur les murs de Carlisle) qui voulait épouser un chevalier écossais, car l’amour sera toujours le maître du monde.

Ils virent avec gaieté les premiers rayons du soleil levant qui brillait sur les murs de Carlisle ; mais ils furent plongés dans la tristesse avant la fin du jour, quoique l’amour fût toujours le maître du monde.

Le père de la dame lui donna un collier et des bijoux, tandis que le soleil brillait sur les murs de Carlisle : son frère ne lui donna qu’un flacon de vin, car il ne pouvait souffrir que l’amour fût le maître du monde.

Elle avait des terres, des bois et des prairies dans les lieux où le soleil brille sur les murs de Carlisle, et il jura de la faire périr, plutôt que de voir un chevalier écossais en devenir le maître.

A peine avait-elle goûté ce vin (le soleil brille sur lès murs de Carlisle), qu’elle tomba morte entre les bras de son fidèle amant, car l’amour était encore le maître du monde.

L’amant perça le cœur du frère dans les lieux où le soleil brille sur les murs de Carlisle. Ainsi périsse quiconque voudrait séparer deux amans ! Que l’amour soit toujours le maître du monde !

Il prit ensuite la croix dans les lieux où le soleil brille sur les murs de Carlisle, et il mourut pour l’amour de sa dame en Palestine ; ainsi l’amour resta le maître du monde.

Maintenant, ô vous amans fidèles (le soleil brille sur les murs de Carlisle) ! priez pour l’ame de ceux dont l’amour a causé le trépas, car l’amour sera toujours le maître du monde 1. —

XII.

A peine Albert finissait-il son simple lai, qu’on vit se lever un barde d’un port plus imposant, et qui était célèbre à la cour du fier Henri par ses sonnets et ses rondeaux. Long-temps, Fitztraver, tu fis entendre les sons argentins de ta harpe sans connaître de rival : l’aimable Surrey aimait ta lyre. Où n’a pas pénétré la renommée de Surrey ? A l’ame de feu des héros il réunit le génie immortel du barde ; son amour, célébré par sa propre lyre, fut le noble amour d’un chevalier.

XIII.

Fitztraver et Surrey parcoururent ensemble des climats lointains ; et souvent, quand venait la nuit avec les astres étincelans qui l’accompagnent, assis dans un bosquet d’oliviers, ils chantaient l’amie absente de Surrey. Le paysan d’Italie, s’arrêtant pour les écouter, croyait que les esprits descendus du ciel étaient rassemblés autour de la sépulture de quelque saint ermite, et faisaient entendre une divine harmonie ; tant le concert de leurs voix et de leurs harpes avait de douceur quand ils célébraient les charmes de Geraldine.

XIV.

O Fitztraveri quelle langue pourrait exprimer tes regrets qui déchirèrent ton cœur fidèle quand la sentence de l’ingrat Tudor ordonna la mort de ce Surrey dont les chants sont immortels ! Fitztraver méprisa la colère du tyran ; sa harpe invoqua la justice et la vengeance des cieux. Il renonça à la cour, abandonna les bosquets verdoyans de Windsor pour les tours de fer de Naworth, et, fidèle au nom de son ancien maître, alla chercher un autre Howard, devint le favori de lord Wiltiam et le chef de ses ménestrels.

XV. FITZTRAVER.

— C’était la veille de la Toussaint 1, et le cœur de Surrey battait vivement. La cloche qui sonna minuit le fit tressaillir, en lui annonçant l’heure mystérieuse à laquelle le sage Cornelius lui avait promis de lui faire voir, par la puissance de son art, la dame de ses pensées, dont il était séparé par le vaste Océan : le sage l’avait assuré qu’il la lui montrerait sous sa forme naturelle, et qu’il lui ferait connaître si elle l’aimait encore, et si elle pensait toujours à lui.

XVI.

Le magicien conduisit le vaillant chevalier sous les voûtes d’une salle où régnaient de sombres ténèbres ; la faible clarté d’un cierge bénit brillait seule devant un grand miroir, et découvrait les instrumens mystérieux de l’art magique, l’Almageste, une croix, un au tel, des caractères cabalistiques et des talismans. Cette lumière était pâle, tremblante, incertaine comme celle qui éclaire le lit de l’homme que la sépulture réclame.

XVII.

Mais bientôt une vive clarté jaillit du grand miroir, et le comte y vit se dessiner des objets vagues et sans forme, tels que ceux que nous présentent les rêves. Ils se fixèrent peu à peu, et offrirent à ses yeux un grand et bel appartement ; la pâle lueur de la lune unie aux rayons d’une lampe qui brûlait près d’une couche formée des belles soies d’Agra, en éclairait une partie ; le reste demeurait dans l’obscurité,

XVIII.

Ce spectacle était beau ; mais qu’elle était plus belle encore la dame qui reposait sur cette couche des Indes ! Des cheveux noirs flottaient sur son cou d’albâtre, et la pâleur de ses joues charmantes annonçait la mélancolie de l’amour. Négligemment couverte d’une longue robe blanche, elle appuyait sa tête sur une de ses mains, et lisait d’un air pensif, sur des tablettes d’ivoire, des vers qui semblaient pénétrer au fond de son ame. Ces vers étaient des chants d’amour de. Surrey ; cette beauté enchanteresse était lady Geraldine.

XIX.

De sombres vapeurs couvrirent peu à peu la surface du miroir, et firent disparaître cette vision délicieuse. Tels furent les nuages que l’envie d’un roi fit planer sur les plus beaux jours de mon maître. Tyran injuste et barbare, puisse le ciel venger sur toi et sur les derniers de tes descendans les caprices féroces de ton despotisme, ton lit nuptial ensanglanté, les autels que tu dépouillas, le sang de Surrey que tu fis couler, et les pleurs de Géraldine ! —

XX.

Les Chefs des deux peuples donnèrent de vifs applaudissemens aux chants de Fitztraver ; le nom de Henry était odieux aux Calédoniens, et les Anglais étaient encore fidèles à leur ancienne foi. Rose Harold, barde du brave Saint-Clair, — de Saint-Clair qui, étant venu faire une visite d’ami à lord Home, l’avait accompagné à la guerre, se leva alors avec un air de dignité. Harold était né dans ces lieux où la mer, sans cesse tourmentée par les tempêtes, mugit autour des Orcades. C’est là que les Saint-Clairs régnaient autrefois en princes sur les grandes et les petites îles, sur les baies et les détroits. Les ruines de leur palais, de ce palais autrefois ton orgueil, maintenant l’objet de tes regrets, ô Kirkwall, annoncent encore leur ancienne puissance. Harold regardait souvent la mer furieuse soulever ses vagues, comme si le bras courroucé d’Odin les eût agitées ; la pâleur sur le front et le cœur palpitant, il suivait des yeux le navire qui luttait contre le naufrage ; car tout ce qui est pittoresque et imposant avait des charmes pour ce barde de la solitude.

XXI.

Sur combien de monumens sublimes l’imagination peut s’arrêter dans ces îles sauvages ? ce fut là qu’arrivèrent, dans des temps bien reculés, les enfans guerriers du fier Lochlin, ne respirant que sang et pillage, et préparant sans cesse de la pâture aux corbeaux : leurs braves Chefs étaient les rois de la mer ; leurs navires, les dragons de l’Océan. Là de profondes vallées avaient entendu successivement les rugissemens des orages et les récits merveilleux des Scaldes. Là de hautes colonnes runiques avaient vu célébrer les mystères de l’idolâtrie. Là enfin, Harold avait appris dans sa jeunesse les vers de mainte saga antique : l’une célébrait ce serpent de mer dont les replis épouvantables entourent le monde de leurs cercles monstrueux, et ces filles redoutables dont les cris affreux font couler des ruisseaux de sang sur le champ de bataille ; une autre, ces Chefs qui, guidés dans l’obscurité par la pâle lueur du tombeau, pillaient la sépulture des anciens guerriers, arrachaient de leurs mains décharnées le glaive qu’elles tenaient encore, faisaient retentir la tombe du cri de guerre, et appelaient les morts aux armes. Plein du récit de ces merveilles, et brûlant d’une ardeur guerrière, le jeune Harold vint dans les bosquets de Roslin : là, dans de paisibles vallons, à l’ombre des bois verdoyans, sa harpe apprit à soupirer des sons plus doux ; et cependant ses chants, quoique moins sauvages, conservaient toujours quelque chose de la rudesse du nord.

XXII. HAROLD.

— Ecoutez, écoutez-moi, belles dames ! Je ne célèbre pas de hauts faits d’armes ; c’est par des chants tendres et mélancoliques qu’il faut pleurer l’aimable Rosabelle.

Amarrez votre barque, braves matelots ! Et vous, charmante dame, daignez vous arrêter ! Reposez-vous dans le château de Ravensheuch, et ne vous hasardez pas aujourd’hui sur cette mer orageuse ?

La vague noire est bordée d’une écume blanchâtre, la mouette se réfugie sur les rochers solitaires ; les pécheurs ont entendu l’esprit des eaux dont les cris prédisent le naufrage.

La nuit dernière, le devin de la côte a vu une belle dame enveloppée d’un linceul humide. Restez à Ravensheuch ! Pourquoi traverser aujourd’hui cette mer orageuse ?

Ce n’est point parce que l’héritier de lord Lindesay ouvre un bal ce soir à Roslin ; c’est parce que ma mère est seule dans son château.

Ce n’est point parce qu’on y court la bague, et que Lindesay y brillera par son adresse ; c’est parce que mon père ne trouvera pas de bouquet à son vin, s’il n’est versé par Rosabelle.

Pendant cette nuit horrible, on vit briller sur Roslin une flamme surnaturelle. Elle s’étendait plus loin que celle des feux qui servent de signaux, et elle était plus rouge que les rayons brillans de la lune.

Elle se réfléchissait sur le château de Roslin, situé sur le sommet d’un roc, et jetait une lueur de pourpre sur le taillis de la vallée. On la voyait des bosquets de chênes de Dryden et du fond des cavernes de l’Hawthornden.

On croyait voir en feu cette chapelle orgueilleuse oit les Chefs de Roslin reposent sans cercueil, l’armure de fer de chaque baron lui servant de drap funéraire.

On croyait voir en feu la sacristie, et jusqu’à l’autel même. La flamme semblait jaillir des colonnes sculptées en feuillage, et des trophées d’armes des anciens guerriers.

Bastions, murailles, tourelles, tout semblait embrasé. C’est ce qui arrive encore quand le destin menace les jours d’un descendant de la noble famille Saint-Clair.

Vingt barons de Roslin sont ensevelis dans l’orgueilleuse chapelle ; c’est sous la voûte sainte qu’ils reposent. Mais la mer couvre l’aimable Rosabelle.

Chaque Saint-Clair fut inhumé à la lueur des cierges, au son des cloches, aveu les prières des funérailles ; les mugissemens des antres de la mer et la voix menaçante des vents furent le chant de mort de l’aimable Rosabelle. —

XXIII.

Les chants d’Harold avaient tant de douceur que les, convives s’aperçurent à peine que l’obscurité se répandait dans la salle ; quoique le jour fût encore éloigné de sa fin, ils se trouvèrent enveloppés d’une ombre mystérieuse. Ce n’était point un brouillard ni la vapeur que le soleil tire des lacs et des marais ; les sages n’avaient pas annoncé d’éclipse ; et cependant les ténèbres s’épaississaient telle ment, qu’on pouvait à peine voir la figure de. son voisin, et même sa propre main quand on l’étendait. Une secrète. horreur succéda aux plaisirs du festin et glaça tous les cœurs. La noble dame elle-même fut presque effrayée, et sentit que l’esprit du mal planait dans les airs. Le méchant nain tomba la face contre terre, et murmura en tremblant : — Trouvé ! trouvé ! trouvé !

XXIV.

Tout à coup un éclair fendit les airs obscurcis, un éclair si vif, si brillant, si terrible, que le château sembla tout en feu. Un instant, un seul instant, il rendit visibles toutes les solives du plafond, les boucliers suspendus aux murs, et les trophées d’armes sculptés sur les colonnes. La foudre brilla sur la tête des convives et tomba sur le. page renversé ; les roulemens du tonnerre effrayèrent les plus braves et firent pâlir les plus audacieux. La cloche d’alarme sonna d’une mer à l’autre ; sur les murs de Berwick et sur ceux de Carlisle, la sentinelle, saisie de terreur, se hâta de courir à ses armes ; et, quand le calme succéda à cette convulsion de la nature, le page avait disparu.

XXV.

Les uns entendirent une voix dans la grande salle de Branksome, et les autres virent ce que tous n’aperçurent pas. Cette voix terrible cria d’un ton de maître : — Viens, Gylpin 1 ! — Et à l’endroit que le tonnerre avait frappé, où le page s’était jeté par terre, les uns virent un bras, les autres une main, quelques autres les plis d’une robe flottante. Les convives tremblans priaient en silence, et la terreur était peinte sur tous les fronts. Mais parmi ces guerriers effrayés, nul ne l’était comme Deloraine. Son sang était glacé, sa tête en feu, et l’on craignit qu’il n’eût perdu la raison pour toujours. Il était pâle, ne pouvait parler, avait l’air égaré et ressemblait à ce soldat, dont on conte l’histoire, qui parla au spectre-chien dans l’île de Man 2. Enfin il dit en frissonnant, et à mots entrecoupés, qu’il avait vu, et vu de ses yeux, un vieillard couvert d’une aumuse et d’un baudrier travaillé en Espagne, comme un pèlerin d’outre mer 3. — Je sais, dit-il, mais ne me demandez pas comment, que c’est le magicien Michel Scott.

XXVI.

Frappés d’horreur, les convives écoutèrent en frémissant ce récit merveilleux. Pas un mot n’était prononcé, pas un son ne se faisait entendre. Enfin le noble Angus rompit le silence, et promit par un vœu solennel à sainte Brigite-de-Douglas, de faire un pèlerinage à l’abbaye de Melrose, pour apaiser lame de Michel. Chaque guerrier, pour rétablir la paix dans son cœur troublé, adressa aussi ses prières à quelque saint, les uns à saint Modan, les autres à sainte Marie-des-Lacs, ceux-ci à la sainte Croixde-Lille, ceux-là à Notre-Daine-des-Iles : tous prirent leur patron à témoin qu’ils entreprendraient tel ou tel pèlerinage, qu’ils feraient sonner les cloches, qu’ils ordonneraient des prières pour le salut de l’ame de Michel. Tandis qu’ils prononçaient ces veux, on dit que la noble dame épouvantée renonça pour jamais à employer le secours de la magie.

XXVII.

Je ne parlerai pas de la noce qui eut lieu peu de temps après ; je ne vous dirai pas combien de fils vaillans, combien d’aimables filles couronnèrent l’amour de la fleur du Teviot et de l’héritier de Cranstoun. Après une scène si terrible, il serait inutile de vouloir produire des sons d’allégresse. Il convient mieux de parler du jour marqué par la pénitence et la prière, où la troupe des pèlerins se rendit solennellement dans le saint temple de Melrose.

XXVIII.

Chacun d’eux marchait les pieds nus, le corps couvert d’un sac, et les bras croisés sur la poitrine. Dans tout ce long cortège on aurait eu peine à entendre le bruit de leurs pas, le son de leurs voix ; à peine osaient-ils respirer. Vainement on aurait cherché en eux l’air imposant, le port martial ; leur gloire était éclipsée, leur orgueil abattu, leur illustre nom oublié. D’un pas lent, et dans un profond silence ils s’avancèrent vers l’autel sacré, et se prosternèrent humblement. Sur la tête des guerriers supplians flottaient les bannières des anciens héros ; sous leurs pieds étaient les cendres de leurs pères ; et autour d’eux les saints et les martyrs, dans leurs niches, semblaient les regarder d’un air sévère...

XXIX.

Couverts d’étoles blanches comme la neige, de scapulaires et de capuchons noirs, les saints Pères arrivèrent sur deux rangs en procession solennelle par une des ailes de l’église. Ils portaient des cierges, des missels et l’hostie consacrée ; une sainte bannière avec le nom du rédempteur flottait devant eux. L’abbé, couvert de sa mitre, étendit la main sur les pèlerins agenouillés devant lui, leur donna sa bénédiction en faisant sur eux le signe de la croix ; il pria le ciel de leur accorder sagesse dans leurs châteaux et succès sur le champ de bataille. On célébra la messe, on fit des prières, on chanta un requiem pour les morts, et on sonna, toutes les cloches pour le salut de leur arme. Pour terminer l’office, l’hymne d’intercession s’éleva vers le ciel, et les voutes de l’église retentirent des sons de l’orgue qui accompagnait le chant majestueux du Dies iræ, dies illa. S’il m’est permis de finir par des vers sacrés un lai léger et frivole, voici ce que chantaient les saints Pères :

XXX. HYMNE POUR LES MORTS.

Jour de terreur, jour de vengeance, où le ciel et la terre passeront ! Quel sera alors l’appui du pécheur ? Comment soutiendra-t-il ce jour formidable ? Le ciel enflammé se repliera comme le parchemin exposé à l’action du feu ; on entendra le son bruyant de la redoutable trompette qui doit éveiller les morts.

Oh ! dans ce jour, dans ce jour terrible, où l’homme sortira de la nuit du tombeau pour subir son jugement, Dieu de miséricorde, sois l’appui du pécheur tremblant, tandis que le ciel et la terre passeront !

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La harpe est muette, et le ménestrel est parti... Mais est-il parti seul ? sa vieillesse va-t-elle continuer dans l’indigence son pèlerinage solitaire ? — Non. — Près de la tour orgueilleuse de Newark s’élève une demeure pour l’ancien barde : ce n’est qu’une humble chaumière ; mais on y voit un petit jardin entouré de haies et un foyer consolateur qui répand le jour et la gaieté. Là le voyageur, assis au coin du feu, écoutait, pendant l’hiver, les récits des anciens temps : car le vieillard ouvrait sa porte avec plaisir, et ne refusait à personne les secours qu’il avait demandés lui-même. Mais quand l’été ornait de sa parure le sommet de Bowhill, quand l’haleine embaumée de juillet balançait les fleurs de la vallée de Newark ; quand les grives chantaient dans les taillis d’Hare-Head, que des épis verts tapissaient Carterhaugh, et que le chêne de Blanckandro offrait un abri sous ses vastes rameaux, alors l’ame du barde s’embrasait d’un nouveau feu ; alors il chantait les hauts faits d’armes et les exploits des chevaliers. En l’écoutant, le voyageur oubliait le jour qui s’enfuyait, le jeune chasseur ne songeait plus à poursuivre le daim timide, et l’Yarrow, en roulant ses ondes, répétait les chants du dernier ménestrel.

________

NOTES.

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CHANT PREMIER.

NOTE I. — Paragraphe I.

Sous le règne de Jacques Ies, roi d’Ecosse, sir William Scott de Buccleuch, chef du clan qui portait ce nom, fit un échange avec sir Thomas Inglis de Manor, dn domaine de Murdiestone, dans le comté de Lanarek, pour moitié de la baronnie de Branksome ou Branxholm, située sur 1es bords du Teviot, à environ trois milles au-dessus d’Haveick. Il s’y détermina probablement parce que Branksome touchait aux domaines étendus qu’il possédait près de la forêt d’Ettrick et dans la vallée de Teviot. La tradition attribue cet échange à une conversation entre Scott et Inglis, dans laquelle ce dernier, homme, à ce qu’il parait, d’un caractère doux et pacifique, se plaignit des incursions que faisaient. sur ses possessions les habitans des frontières d’Angleterre. Sir William Scott lui offrit sur-le-champ la terre de Murdiestone en échange du domaine qui était sujet à de tels inconvéniens. Lorsque l’affaire fut conclue, il remarqua que les bestiaux du Cumberland valaient bien ceux de la vallée de Teviot, et il commença contre les Anglais un système de représailles que ses successeurs ne manquèrent pas de suivre. Sous le règne suivant, Jacques II accorda à sir Walter Scott de Branksome, et à sir David son fils, l’autre moitié de la baronnie de Branksome, sans autre redevance qu’une rose rouge.

Branksome devint alors le siège principal de la famille de Buccleuch. La seule partie de l’ancien édifice qui existe aujourd’hui est une tour carrée dont les mors sont d’une épaisseur prodigieuse.

NOTE 2. — Paragraphe v.

Les Ecossais, dit Froissard, ne sont pas d’excellens archers, mais ils combattent parfaitement avec la hache, et s’en servent à ravir dans l’occasion. La hache de Jedwood était une sorte de pertuisane dont les cavaliers étaient armés.

NOTE 3. — Paragraphe VII.

Le château de Branksome était sans cesse exposé aux attaques des Anglais, tant. à cause de son voisinage des frontières, que par suite du caractère turbulent de ses maîtres, qui vivaient rarement en paix avec leurs voisins.

NOTE 4. — Paragraphe VII.

Sir Walter Scott de Buccleuch succéda à son aïeul sir David en 1592 ; sa mort fut occasionnée par la querelle qui s’éleva entre les Scotts et les Kerrs ou Cars. Il est nécessaire d’entrer dans quelques détails à ce sujet, pour que le lecteur puisse comprendre plusieurs allusions qui se trouvent dans le poëme.

En 1526, le comte d’Angus et les Douglas étaient maîtres absolus du pays, et personne n’osait leur résister. Le roi Jacques V, alors mineur, en fut mécontent, et aurait voulu secouer leur joug. Il écrivit de sa propre main une lettre confidentielle au lord Buccleuch, le priant de venir le joindre à Melross ou Melrose, et de le délivrer des Douglas.

Un serviteur fidèle du prince fut chargé de porter cette lettre au lord de Buccleuch, qui ne perdit pas un instant pour obéir aux ordres du roi. Il assembla ses vassaux et ses alliés, et marcha vers Melrose. Les Douglas, qui étaient maîtres de sa personne, virent avancer cette armée, et, lui supposant des intentions hostiles, s’avancèrent à sa rencontre. Buccleuch leur livra bataille, et fut repoussé avec une grande perte.

Cette journée fut l’origine de la haine mortelle et héréditaire qui divisa long-temps les familles de Scott et de Kerr. Parmi les actes de violence auxquels elle donna lieu, on peut citer comme le plus signalé le meurtre de sir Walter lui-même, qui fut assassiné par les Kerrs en 1552, dans les rues d’Edimbourg. C’est à cet événement qu’il est fait allusion dans la strophe vu, et la scène du poëme est supposée s’ouvrir peu de temps après que ce crime eut été commis.

NOTE 5. — Paragraphe VIII.

Entre autres expédiens auxquels on eut recours pour calmer l’inimitié qui régnait entre les Scotts et les Kerrs, les chefs des deux Clans firent, en 1529, une transaction par laquelle ils s’obligèrent à faire les quatre principaux pèlerinages usités en Ecosse, pour prier réciproquement pour lame de ceux qu’ils avaient fait périr. Mais on cette transaction ne fut pas exécutée, ou elle ne produisit pas l’effet qu’on s’en était promis, car leur haine éclata bientôt avec une nouvelle violence.

NOTE 6. — Paragraphe VIII.

La famille des Kerrs était très-puissante sur les frontières d’Ecosse.

NOTE 7. — Paragraphe X.

Les Cranstouns sont une ancienne famille des frontières, dont la résidence principale était à Crailing, dans la vallée de Teviot. Ils étaient alors en guerre avec le clan des Scotts ; car on voit en 1557 lady Buccleuch assiéger lord Cranstoun, et menacer sa vie. Cependant le même Cranstoun, ou peut-être son fils, épousa ensuite la fille de cette dame.

NOTE 8. — Paragraphe XI.

Les Béthunes sont d’origine française, et tirent leur nom d’une petite ville d’Artois. Il y avait dans la province veisine, la Picardie, plusieurs familles distinguées qui portaient ce nom. Le célèbre due de Sully en descendait, et ce nom était compté parmi les plus nobles de la France. La famille de Béthune ou Beatown, et Beaton, dans le comté de Fife, produisit trois prélats savans et illustres, lecardinal Beaton, et deux archevêques de Glascow, qui en occupèrent le siège successivement. De cette famille était descendue Jeanne Beaton, épouse de sir Walter Scott de Brankseme, lord Buccleuch. C’était une femme pleine de courage, et elle en donna des preuves en se mettant à la tête du clan de son fils après le meurtre de son mari. Elle possédait à un tel degré les talens qui étaient héréditaires dans sa famille,que les esprits superstitieux lui attribuaient des connaissances surnaturelles.

NOTE 9. — Paragraphe xi.

Padoue passa long-temps en Ecosse pour être la principale école de nécromancie. L’ombre d’un nécromancien est indépendante du soleil. Simon-le-Mage, dit Glycas, faisait marcher son ombre devant lui, et laissait croire au peuple que c’était un esprit qui l’accompagnait. Le vulgaire croit que, quand des savans d’une certaine classe ont fait assez de progrès dans leurs études mystiques, ils sont obligés de traverser en courant une grande salle souterraine où le diable les poursuit pour s’emparer de celui qui se trouvera le dernier, à moins que celui-ci ne coure assez vite pour qu’il ne puisse saisir que son ombre. En ce cas la personne du sage ne produit plus aucune ombre ; et ceux qui ont ainsi perdu leur ombre sont toujours reconnus pour être les meilleurs magiciens.

NOTE 10. — Paragraphe XVI.

Le peuple en Ecosse croit à l’existence d’une classe intermédiaire d’esprits qui résident dans les airs ou dans les eaux. Il attribue à leur puissance les inondations, les ouragans, et tous les phénomènes qu’il ne peut expliquer. Il suppose qu’ils se mêlent des affaires des hommes, soupent pour leur nuire, quelquefois pour leur être utiles.

Tandis que des ouvriers travaillaient aux fondations de l’église d’Old-Deer dans le comté d’Aberdeen, ils furent surpris de trouver des obstacles surnaturels qui s’opposaient à leurs travaux. Enfin ils entendirent la voix de l’Esprit du fleuve, qui ordonnait de construire l’édifice dans un autre endroit nommé Taptillery ; et on lui obéit.

Je rapporte ce conte populaire parce qu’au premier coup-d’œil l’introduction de l’Esprit des eaux et de l’Esprit des montagnes pourrait paraître peu d’accord avec le ton général du poème, et avec les superstitions du pays où la scène est placée.

NOTE II. — Paragraphe XII.

Les habitans des cantons frontières suivaient la profession de maraudeurs, et les membres du clan de Buccleuch s’y distinguaient surtout.

NOTE 12. — Paragraphe XIX.

Allusion aux armoiries des Scotts et des Kerrs. Les Nerrs de Cessford portaient sur leurs armes une tête de licorne, et les Scotts de Buccleuch aveient dans les leurs une étoile entre deux croissans.

NOTE 13. — Paragraphe XXI.

Les rois et les héros d’Ecosse, de même que les, maraudeurs, étaient quelquefois obligés d’éviter la poursuite de chiens dressés à cette chasse. Barbour rapporte que Robert Bruce fut plus d’une fois suivi à la piste par des chiens. Il leur échappa un jour en se jetant dans une rivière, d’où il sortit en montent sur un arbre par le moyen d’unie branche qui pendait sur l’eau. Ne laissant ainsi sur la terre aucune trace de ses pieds, il mit en défaut les chiens qui le poursuivaient. On prétendait qu’un moyen de les dépister était de répandre du sang dans l’endroit par où ils devaient passer ; et il en coûta la vie à plus d’un prisonnier.

NOTE 14. — Paragraphe XXV.

C’est une montagne ronde formée par la main des hommes, à peu de distance d’Hawick. Son nom, signifiant en saxon conseil, assemblée, porte à croire que c’était autrefois un lieu de réunion pour les Chefs des tribus dei environs. On trouve en Ecosse un assez grand nombre de montagnes semblables, et quelques-unes sont de forme carrée.

NOTE 15. — Paragraphe XXVII.

Une petite plate-forme située sur le haut d’un rocher d’où l’on découvre une vue charmante, se nomme encore le lit de Barnhill. C’était, dit-on, un brigand ou un proscrit. On y voit les restes d’une tour fortifiée qu’on suppose qu’il a habitée. Dans le nombre des édifices détruits par le comte d’Harford en 1545, on compte les tours de Barnhill et de Minto. Sir Gilbert Minto, père du lord Minto actuel, est auteur d’une jolie pastorale à laquelle il a été fait allusion dans la strophe XXIII.

NOTE 16. — Paragraphe XXXI.

L’ancien et beau monastère de Melrose fut fondé par le roi David I er, Ses ruines offrent le plus beau modèle d’architecture et de sculpture gothiques qu’on puisse trouver dans toute l’Eoosse.

CHANT II.

NOTE I. — Paragraphe VI.

On croira sans peine que les maraudeurs n’étaient pas rigoureux observateurs des pratiques religieuses. On voit cependant dans Lesly que, quoiqu’ils n’eussent véritablement pas de religion, ils disaient régulièrement leur chapelet, et y mettaient un nouveau zèle quand ils partaient pour quelque expédition qui avait pour but le vol et le pillage.

NOTE 2. — Paragraphe VII.

Les cloîtres servaient souvent de lieu de sépulture dans les monastères. Dans celui de l’abbaye de Dryhurgh on voit encore une pierre sur laquelle est gravé : Hic jacet frater Archibaldus.

NOTE 3. — Paragraphe VIII.

— Sur ma foi ! disait le duc de Lancastre à un écuyer portugais, de tous les faits d’armes des Castillans et des gens de votre pays, la manière dont ils lancent leurs dards est ee qui me plaît le plus. — On imitait cette manière de combattre avec des dards, dans le jeu militaire nommé juego de las canas, que les Espagnols empruntèrent des Maures.

NOTE 4. — Paragraphe X.

La fameuse bataille d’Otterburne se livra le 15 août 1388, entre Henri Perey, surnommé Hotspur, et James, comte de Douglas. Chacun de ces deux célèbres champions était à la tête d’un corps de troupes choisies. Perey fut fait prisonnier, et les Ecossais remportèrent la victoire, qu’ils payèrent assez cher par la mort de leur vaillant général, qui périt sur le champ de bataille. Il fut enterré à Melrose sons le maître-autel.

NOTE 5. — Paragraphe X.

William Douglas, chevalier distingué de Liddesdale, Vivait sous le règne de David II. Il s’était tellement distingué par sa valeur, qu’on l’appelait la fleur de la chevalerie. Mais il ternit sa réputation par le meurtre cruel de sir Alexandre Ramsay de Dalhousie, qui avait été son ami et son frère d’armes.

NOTE 6. — Paragraphe XII.

On montre dans l’église de Melrose une grande tablette de marbre qu’on prétend couvrir la tombe d’Alexandre II, un des plus grands des anciens rois d’Ecosse. D’autres soutiennent que c’est le tombeau de Waldève, ancien abbé de cette abbaye, qui mourut en odeur de sainteté.

NOTE 7. — Paragraphe XIII.

Sir Michel Scott de Balwearie vivait dans le treizième siècle. Il fut un des ambassadeurs envoyés en Ecosse à la mort d’Alexandre III. Par un anachronisme poétique, on le fait vivre ici dans un siècle plus rapproché de nous.

NOTE 8. — Paragraphe XIII.

La superstition qui régnait en Espagne, et les restes des sciences que les Arabes y avaient introduites, faisaient regarder ce pays comme le séjour favori des magiciens.

NOTE 9. — Paragraphe XVII :

Jean-Baptiste Porta et les autres auteurs qui traitent de la magie naturelle, parlent beaucoup des lampes perpétuelles allumées dans d’anciens sépulcres.

NOTE 10. — Paragraphe XXXIII.

Le 25 juin 1557, dame Jeanne Beaton, veuve du lord de Buccleuch, et un assez grand nombre de Scotts, furent accusés de s’ètre rendus à l’église de Sainte-Marie ; au nombre de plus de deux cents, les armes à la main, et d’en avoir forcé les portes, pour s’emparer du lord Cranstoun et le mettre à mort. Mais le 20 juillet un ordre de la reine sursit à toutes poursuites contre lady Butcleuch. On dit que l’église de Sainte-Marie avait été brûlée par les Scotts.

CHANT III

NOTE 1. Paragraphe IV.

L’écu de Cranstottn, par une allusion à leur nom 1, est surmonté d’une cigogne tenant une pierre dans sa patte. Leur devise, bien conforme à l’esprit des habitans des frontières d’Ecosse, est : Tu manqueras avant que je manque.

NOTE 2. — Paragraphe IX.

Ce pouvoir magique de faire paraître aux yeux des spectateurs un objet tout


différent de ce qu’il est en réalité, se nomme glamour dans les annales de la superstition écossaise.

NOTE 3. — Paragraphe X.

Le docteur Henry More, dans une lettre qui sert d’introduction au Saducismus triumpliatus de Glanville, fait mention d’un soufiet tout aussi merveilleux.

NOTE 4. — Paragraphe XIII.

C’est un article de foi dans les superstitions populaires, qu’une eau courante rompt tous les enchantemens. Si vous pouvez placer un ruisseau entre vous et des sorcières, des spectres, et même des démons, vous ètes en toute sûreté.

NOTE 5. — Paragraphe XVII.

Blesser son adversaire à la jambe, et même à la cuisse, était regardé comme contraire à la loi des armes.

NOTE 6. — Paragraphe XXIII.

Allusion aux guérisons par sympathie, fort vantées dans les siècles de la féodalité.

NOTE 7. — Paragraphe XXVII.

Ces feux, d’après leur position et leur nombre, formaient une chaîne de communication télégraphique avec Edimbourg.

NOTE 10. — Paragraphe XXVIII.

On est étonné de la promptitude avec laquelle on levait sur les frontières de nombreuses troupes de cavalerie, même quand il s’agissait d’objets moins importans que celui dont il est question dans le poème.

NOTE 11. — Paragraphe XXIX.

Le sommet de la plupart de nos montagnes d’Ecosse est couronné par une espèce de pyramide construite en pierres détachées, et qui semblent en général former des monumens funéraires.

CHANT IV.

NOTE I. — Paragraphe II.

Le vicomte de Dundee, qui mourut sur le champ de bataille à Killicrankie.

NOTE 2. — Paragraphe III.

A l’approche d’une armée anglaise, les habitans des frontières d’Ecosse se réfugiaient ordinairement dans des marais inaccessibles. Ils se cachaient aussi dans des cavernes placées dans des situations dangereuses et inabordables. On en voit un grand nombre dans diverses parties des frontières ; mais ils n’y étaient pas toujours eu sûreté, car souvent on allumait à l’entrée de grands feux de paille, et on les y enfumait comme des renards.

NOTE 3. — Paragraphe IV.

J’ai entendu dans mon enfance conter bien des histoires sur ce personnage ; il était au service de la famille Buccleuch, et tenait d’elle une petite tour sur les confins de Liddesdale : Il était cordonnier de profession ; mais il avait le goût des armes, et il maniait l’arc plus souvent que l’alène.

NOTE 4. — Paragraphe V.

Les hahitans des frontières attachaient peu de prix à l’ameublement de leurs maisons, parce qu’elles étaient exposées à chaque instant à être pillées et incendiées. Leur principal luxe consistait dans les bijoux dont ils se plaisaient à parer leurs femmes.

NOTE 5. — Paragraphe VII.

William, lord Howard, troisième fils de. Thomas, duc de Norfolk, devint propriétaire du château de Naworth et d’un grand domaine qui y était attaché, du chef de sa femme Elisabeth, sœur de George, lord Dacre, qui mourut sans héritiers mâles, dans la onzième année du règne d’Elisabeth. Par un anachronisme poétique, on le fait vivre quelques années plus tôt dans le poème.

NOTE 6. — Paragraphe VI.

Le nom bien connu de Dacre fut donné à cette famille à cause des exploits que fit un de ses ancêtres au siège d’Acre ou Ptolémaïs, sous Richard Cœur-de-Lion.

NOTE 7. — Paragraphe VIII.

Dans les guerres contre l’Ecosse, Henri VIII et ses successeurs employèrent des bandes nombreuses de troupes étrangères.

NOTE 8. — Paragraphe VIII.

Sir John Scott de Thirlestane vivait sous le règne de Jacques V. Lorsque ce roi eut assemblée ses barons et leurs vassaux à Fala, dans le dessein de faire une invasion en Angleterre, tous refusèrent obstinément d’y prendre part. Sir John Scott seul déclara au roi qu’il était prêt à le suivre partout où il voudrait le conduire. Sa fidélité lui valut les distinctions honorifiques dont il est parlé dans le poëme.

NOTE 9. — Paragraphe IX.

Walter Scott de Harden, qui vivait sous la reine Marie, était un chef de maraudeurs renommé. La tradition a conservé sur lui une foule d’anecdotes qu’on trouve dans divers ouvrages. Le cor dont se servait, dit-en, ce baron redoutable, est encore en la possession d’un de ses descendans, M. Scott de Harden.

NOTE 10. — Paragraphe X.

On nommait Heriot un tribut que le seigneur avait droit, en certain cas, d’exiger de son feudataire, et qui consistait dans le meilleur cheval de celui-ci.

NOTE 11. — Paragraphe XIII.

Bellenden est situé près de la source du Borthwick ; et comme c’était le point central des domaines des Scotts, il leur servait souvent de lieu de rendez-vous et de mot de ralliement.

NOTE 12. — Paragraphe XVIII.

Les aventuriers mercenaires que le comte de Cambridge conduisit au secours du roi de Portugal contre les Espagnols, en 1380, se mutinèrent faute de recevoir leur paie. A une assemblée de leurs Chefs, sir John Solfier, fils naturel d’Édouard, le prince Noir, leur parla en ces termes : — Mon avis est de bien nous entendre
ensemble, de lever la bannière de Saint-George, d’être amis de Dieu et ennemis de tout le monde ; car si nous ne nous faisons craindre, nous n’aurons rien. — Par ma foi ! répondit sir William Helmon, vous avez raison, et c’est ce qu’il faut faire. — La détermination fut prise tout d’une voix ; on arbora l’étendard de Saint-George, et lorsqu’il fut question de choisir un chef, chacun s’écria : — Soltier ! Soltier ! le vaillant bâtard ! amis de Dieu et ennemis de tout le monde ! —

NOTE 13. — Paragraphe XXI.

Un gant placé sur le fer d’une lance était l’emblème de la bonne foi parmi les anciens hahitans des frontières. Si quelqu’un manquait à sa parole, on élevait ce signe à la prochaine assemblée générale, et on le proclamait — un vilain sans foi. — Cette cérémonie était fort redoutée.

NOTE 14. — Paragraphe XXVI.

Dans les cas douteux, les lois des frontières permettaient quelquefois aux accusés de prouver leur innocence par le serment. Voici quelle en, était la forme : — Vous jurez parle ciel qui est sur votre tète, par l’enfer qui est sous vos pieds, par votre part du paradis, par tout ce que Dieu fit en six jours et sept nuits, et par Dieu lui-même, que vous n’avez ni pris, ni fait prendre, ni recélé, que vous ne savez ni ne connaissez qui a pris, fait prendre ou recélé aucun des objets mentionnés dans le bill qui précède.

NOTE 15. — Paragraphe XXVII.

Le grade de chevalier, d’après son institution originaire, avait cette particularité qu’il n’était point accordé par le monarque, mais que celui qui en était revêtu pouvait le conférer à tout écuyer digne de cet honneur. Ce droit finit par ne plus appartenir qu’aux généraux, qui avaient coutume de créer des chevaliers bannerets après et même avant une bataille.

NOTE 16. — Paragraphe XXIX.

Un lion blanc ou d’argent se trouvait sur les armoiries de toutes les branches de la famille Howard. On donnait souvent pour nom de guerre à un chevalier le support ou le çimier de ses armoiries. Ce fut ainsi qu’on surnomma Richard III — le Sanglier d’York.

NOTE 17. — Paragraphe XXX.

On peut aisément supposer que le jugement par combat singulier, particulier au système féodal, avait souvent lieu sur les frontières. En 1558, Kirkaldy de Grange combattit ainsi le frère de lord Evre, par suite d’une querelle relative à un prisonnier qu’on prétendait que ce lord avait maltraité.

NOTE 18. — Paragraphe xxxv.

Le personnage auquel il est fait allusion ici est un ancien ménestrel de nos frontières, nommé Rattling Roaring Willie, nom qu’il devait sans doute à ses heureuses dispositions pour la musique et pour le chant.

NOTE 19. — Paragraphe XXXV.

Il s’agit ici de la plus ancienne collection de réglemens relatifs aux frontières. Le 18 décembre 1468, William, comte de Douglas, convoqua les lords, les propriétaires et les habitaus les plus âgés des frontières, et leur fit prêter serment sur l’Evangile de rédiger fidèlement par écrit les statuts, ordonnances et réglemens portés par Archibald Douglas-le-Noir et son fils Archibald, pour être exécutés en temps de guerre ; après quoi il en fit jurer l’observation.

CHANT V.

NOTE I. — Paragraphe IV.

Le chef de cette race de héros, à l’époque où est placée la scène de ce poème, était Archibald Douglas, septième comte d’Angus, homme plein de courage et d’activité. Le cœur sanglant était entré dans les armoiries de la maison de Douglas dans le temps de lord James, que Robert Bruce chargea de porter son cœur en Palestine.

Sir David Home de Wedderburne, qui perdit la vie dans la funeste bataille de Flodden, laissa sept fils qu’on appelait les sept lances de Wedderburne. Les comtes d’Home, comme descendans des Dumbards, anciens comtes de Marets, portaient un lion rampant d’argent dans leurs armes. Le cri de guerre de cette famille puissante était : — Home ! Home !

Les Hepburns, famille célèbre du Lothian oriental, étaient ordinairement alliés des Homes. Le trop fameux comte de Bothwell fut le dernier rejeton de cette famille.

NOTE 2. — Paragraphe VI.

Le ballon était anciennement un divertissement favori dans toute l’Ecosse, et surtout sur les frontières.

NOTE 3. — Paragraphe VII.

Malgré l’état de guerre presque perpétuel dans lequel on vivait sur les frontières, et les cruautés qui accompagnaient souvent les invasions qui se faisaient de l’une sur l’autre, il ne paraît pas que les habitans des deux contrées limitrophes se soient regardés avec ce sentiment violent d’animosité personnelle qu’on pourrait leur supposer. Comme les avant-postes de deux armées ennemies, ils entretenaient souvent les uns avec les autres des relations presque amicales, même au milieu des hostilités. Il est même évident, d’après diverses ordonnances qui furent rendues pour empêcher le commerce et les alliances entre les habitans des deux frontières, que leurs gouvernemens respectifs craignaient qu’ils ne contractassent une liaison trop intime.

NOTE 4. — Paragraphe VIII.

Patten censure avec raison la conduite désordonnée des habitans des frontières d’Angleterre, qui suivirent le protecteur Sommerset dans son expédition contre l’Ecosse.

NOTE 5. — Paragraphe XXIX.

Celui qui avait été pillé par des maraudeurs se mettait à leur poursuite avec ses amis, au son du cor, et à l’aide de chiens dressés à cet effet. Si son chien pouvait suivre la piste, il avait droit d’entrer dans le royaume voisin, privilège qui fit couler le sang bien des fois.

__________

CHANT VI.

NOTE 1. — Paragraphe V.

La croyance populaire, quoique contraire à la doctrine de l’Eglise, faisait une distinction entre les magiciens et les nécromanciens ou sorciers, et elle était favorable aux premiers. On supposait qu’ils commandaient aux malins esprits, tandis que les autres leur obéissaient, ou du moins étaient lignés avec eux.

NOTE 2. — Paragraphe V.

Les dames du haut rang portaient ordinairement un faucon sur le poing dans les cérémonies, et les chevaliers et barons en faisaient autant en temps de paix.

NOTE 3. — Paragraphe VI.

On sait que dans les siècles de chevalerie on regardait le paon non-seulement comme un mets délicat, mais comme un plat spécialement consacré aux festins d’apparat. Après l’avoir fait rôtir, on le recouvrait de ses plumes, et on lui plaçait dans le bec une éponge imbibée d’esprit de vin enflammé. L’instant où on le plaçait sur la table, les jours du grand gala, était celui que les chevaliers aventureux choisissaient pour faire — devant le paon et les dames — le vœu d’accomplir quelque prouesse.

La tête du sanglier se servait aussi dans les grandes fêtes au temps de la féodalité. En Ecosse, elle était entourée de petites bannières sur lesquelles on voyait les couleurs, les armoiries et la devise du baron.

On voit souvent. des troupes de cygnes sauvages sur le lac de Sainte-Marie, près de la source de l’Yarrow.

NOTE 4. — Paragraphe VII.

Mordre son gant passait, sur les frontières d’Ecusse, pour un vœu solennel de vengeance. On cite encore un jeune homme du Toviotdale qui, après avoir passé la nuit à boire, remarqua qu’il avait mordu son gant. Il demanda sur-le-champ à ses compagnons avec qui il s’était querellé, et l’ayant appris, il demanda satisfaction aussitôt, disant que quoiqu’il ne se souvînt pas de l’objet de la querelle, il était sûr de ne pas avoir mordu son gant sans avoir reçu une insulte impardonnable. Il perdit la vie dans ce duel, qui eut lieu en 1711, près de Seilkirk.

NOTE 5. — Paragraphe VIII.

Voyez, dans la notice biographique, le récit d’une tradition conservée par Scott de Satcbells, qui publia en 1688 une Histoire véritable de l’honorable nom de Scott.

NOTE 6. — Paragraphe X.

John Grahame, second fils de Malice, comte de Monteith, communément surnommé — John à l’épée brillante, — ayant été disgracié à la cour d’Ecosse, se retira avec une grande partie de ses parens et de ses vassaux sur les frontières d’Angleterre, dans une partie qu’on nommait — le Territoire contesté — parce que les deux nations voisines s’en disputaient la possession. Ils s’établirent eu ce lieu, et l’on y trouve encore aujourd’hui de leurs descendans.

NOTE 7. — Paragraphe XIII.

Le vaillant et infortuné Henry Howard, comte de Surrey, était sans contredit le cavalier le plus accompli de son temps. On trouve dans ses sonnets des beautés qui
feraient honneur à un siècle plus policé. Il fut décapité en 1546, victime de la basse jalousie d’Henri VIII, qui ne pouvait souffrir près de son trône un caractère si brillant.

Dans les voyages du comte, le célèbre alchimiste Corneille Agrippa lui fit voir, dit-on, dans un miroir, l'aimable Geraldine à qui il avait consacré sa plume et son épée.

NOTE 8. - Paragraphe XX.

Les Saint-Clairs sont d'extraction normande, étant descendus de William de Saint-Clair, second fils de Walderne, comte de Saint-Clair, et de Marguerite, fille de Richard, duc de Normandie. On l'appelait — le beau Saint-Clair. — S'étant établi en Ecosse sous le règne de Malcolm Ceaumore, il obtint de grandes concessions de terres dans le Midlothian. Les domaines de cette famille furent encore considéra-blement augmentés par Robert Bruce.

NOTE 9. - Paragraphe XXI.

Le château de Kirkwall, construit par les Saint-Clairs quand ils étaient comtes d'Orkney, fut démantelé par le ermite de Caithness, en 1615, Robert Stewart, fils naturel du comte d’Orkney, ayant voulu s’y défendre contre le gouvernement.

NOTE 10. - Paragraphe XXII.

Les chefs des pirates scandinaves prenaient le titre de Sœkomunger, ou roi de la mer. Les scaldes, dans leur style ampoulé, nommaient souvent les navires — les serpens de l'Océan. —

NOTE 11. — Paragraphe XXII.

Le jormungandr, ou le serpent de l’Océan, dont les replis entourent la terre, est une des fictions les plus extravagantes de l’Edda. Il fut sur le point d’être pris à la ligne par le dieu Thor, qui avait mis pour amorce à son hameçon une tête de boeuf. Dans la bataille entre les démons et les divinités d’Odin, qui doit précéder le ragnaraokr, ou crépuscule des dieux, ce serpent doit jouer un grand rôle.

NOTE 12. — Paragraphe XXII.

C'étaient les Valkyriurs, filles infernales dépêchées du Valhalla par Odin pour choisir ceux qui devaient périr dans le combat.

NOTE 13. — Paragraphe XXII.

Les guerriers du Nord étaient ordinairement ensevelis avec leurs armes et leurs autres trésors. Ainsi Angantyr, avant le combat singulier dans lequel il perdit la vie, stipula que s’il succombait, son épée Tyring serait enterrée avec lui. Sa fille Herror la retira ensuite de sa tombe.

NOTE 14.- Paragraphe XXIII.

La belle chapelle de Rodin est encore assez bien conservée. Elle fut bâtie en 1446 par William Saint-Clair, qui avait tant de titres, dit Godscroft, qu’un Espagnol en aurait été fatigué. On dit qu'elle paraît tout en feu quand un de ses descendans est sur le point de mourir. Cette superstition est sans doute norwégienne, car plusieurs sagas parlent des tombes de feu du Nord.

NOTE 15. — Paragraphe XXVI.

L'ancien château de Peel-Town, dans l’île de Man, est entouré de quatre chapelles Maintenant en ruines. Il y avait autrefois un passage qui conduisait d’une de ces chapelles dans le corps-de-garde de la garnison

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Source: http://fr.wikisource.org






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